Charles Baudelaire (1821-1867)
       Poète et critique français qui, avec les Fleurs du mal, ouvrit la voie à la modernité en poésie.

 

Son oeuvre :

- Salons (1846-1859)
- Journaux intimes (1851-1862)
- les Paradis artificiels (1860)
- Curiosités esthétiques (1868)
-L'art romantique(1869)

- Les Fleurs du mal (1857, 101 poèmes-1861, 127 poèmes)
-Le Spleen de Paris (1869)

Vie de Baudelaire

Charles Baudelaire est né à Paris le 9 avril 1821. Il avait sept ans lorsque sa mère, devenue veuve, se remaria avec le général Aupick!; l'enfant n'accepta jamais cette union. Placé d'abord en pension à Lyon, il étudia ensuite au lycée Louis-le-Grand à Paris, où il se signala par son indiscipline et d'où il fut exclu en avril 1839. Après avoir néanmoins obtenu son baccalauréat, Baudelaire entreprit de mener à Paris une vie d'insouciance et de bohème, tout au moins jusqu'en 1841, date à laquelle son beau-père, soucieux d'y mettre un terme, le fit embarquer quasi de force sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud, pour un long voyage à destination des Indes. Ce périple, quoique écourté par le poète - il s'arrêta à l'île Bourbon (la Réunion) -, ancra profondément chez lui le goût de l'exotisme, thème très présent dans son œuvre. De ce voyage, Baudelaire rapporta également les premiers poèmes de son principal recueil, les Fleurs du mal, notamment le sonnet «!À une dame créole!».

Peu après son retour en France, en 1842, Baudelaire rencontra Jeanne Duval, dont il fit la «!Vénus noire!» de son œuvre, l'incarnation de la femme exotique, sensuelle et dangereuse, et qu'il aima durablement malgré leurs relations orageuses. Cette liaison n'empêcha pas le poète de s'éprendre de Marie Daubrun en 1847 et de Mme Sabatier en 1852. Il fit de cette dernière, pour laquelle il éprouva des sentiments tout éthérés, une figure spirituelle, la «!Muse et la Madone!» des Fleurs du mal.

Le jeune poète mena alors - grâce à l'héritage paternel reçu à sa majorité, en 1842 - une vie de dandy et d'esthète!; à cette époque, il fit l'acquisition de coûteuses œuvres d'art et expérimenta les «!paradis artificiels!» de l'opium et de l'alcool. Son train de vie ne tarda pas à écorner son héritage : pour éviter la dilapidation de sa fortune, son beau-père et sa mère le firent placer sous tutelle judiciaire. Le jeune poète souffrit dès lors de ne pouvoir disposer librement de son bien, et dut travailler pour vivre.

C'est poussé par le besoin d'argent qu'il se lança dans la critique d'art (Salon de 1845, Salon de 1846, Salon de 1859) et qu'il publia dans diverses revues sous le nom de Baudelaire-Dufaÿs : il fit paraître de la sorte des poèmes qui figureront plus tard dans les Fleurs du mal, mais aussi des essais littéraires et esthétiques, ainsi qu'une nouvelle, la Fanfarlo (1847). En 1848, il commença à traduire les œuvres de l'auteur américain Edgar Allan Poe. Baudelaire n'eut aucun mal à s'identifier à cet écrivain tourmenté, en qui il voyait un double de lui-même («!Edgar Poe, sa vie et ses œuvres!», l'Art romantique). Ses traductions de Poe font encore référence aujourd'hui!; il fit paraître successivement Contes extraordinaires (1854), Histoires extraordinaires (1856), Nouvelles Histoires extraordinaires (1857), les Aventures d'Arthur Gordon Pym (1858), et acheva la traduction des Histoires grotesques et sérieuses en 1865.

En juin 1857, Baudelaire fit paraître, chez son ami et éditeur Poulet-Malassis, le recueil les Fleurs du mal, qui regroupait des poèmes déjà publiés en revue et des inédits. Mais, dès le mois d'août, il se vit intenter un procès pour «!outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs!» (la même année, Madame Bovary, de Flaubert, connut un sort identique, mais le romancier put profiter d'un succès de scandale, ce qui ne fut pas le cas de Baudelaire). Condamné à une forte amende, le poète, très abattu par la sentence, dut en outre retrancher six poèmes de son recueil.

Après le scandale des Fleurs du mal, Baudelaire, toujours criblé de dettes, continua de publier en revue ses textes critiques et ses traductions de Poe, auxquels vinrent s'ajouter bientôt les poèmes en prose qui seront regroupés et publiés dans leur forme définitive après sa mort, sous le titre les Petits Poèmes en prose ou le Spleen de Paris (posthume, 1869). Les Petits Poèmes en prose sont le pendant des Fleurs du mal, dont ils reprennent la thématique, mais cette fois dans une prose poétique, sensuelle, étonnamment musicale (certains poèmes des Fleurs du mal y sont même repris en écho, sous un titre identique). Le poème en prose était alors un genre nouveau, et Baudelaire avait pris pour modèle Aloysius Bertrand, précurseur du genre avec Gaspard de la nuit (1842).

Au printemps 1866, pendant un séjour en Belgique, où il était venu faire un cycle de conférences qui se révéla décevant, Baudelaire, déjà très malade, eut un grave malaise à Namur. Les conséquences furent irrémédiables : atteint de paralysie et d'aphasie, le poète fut ramené à Paris en juillet. Il y mourut un an plus tard, le 31 août 1867.

Les Fleurs du mal

Ce recueil de poèmes est l'œuvre maîtresse de Baudelaire.

Dans sa version la plus aboutie, il est composé de six parties : «!Spleen et Idéal!» (poèmes I à LXXXV), puis «!Tableaux parisiens!» (poèmes LXXXVI à CIII), «!le Vin!» (poèmes CIV à CVIII), «!Fleurs du mal!» (poèmes CIX à CXVII), «!Révolte!» (poèmes CXVIII à CXX) et «!la Mort!» (poèmes CXXI à CXXVI), qui font la synthèse entre le courant romantique (le lyrisme) et le formalisme (la recherche maîtrisée de la perfection formelle).

Modernité des Fleurs du mal

Le titre des Fleurs du mal pose d'emblée les marques d'une esthétique nouvelle, «!moderne!», où la beauté, le sublime (que désigne le terme de «!fleur!») peuvent, grâce au langage poétique, surgir des réalités triviales de la nature et de la chair (le «!mal!»).

Avec cette matière en guise d'inspiration, alliée à un travail méticuleux sur le langage poétique (utilisation de formes traditionnelles comme le sonnet, et de vers classiques, comme l'alexandrin), Baudelaire révolutionnait l'univers esthétique en prenant non seulement le contrepied de la tradition selon laquelle l'œuvre d'art était d'autant plus admirable que le sujet en était noble, mais surtout en réalisant la synthèse entre deux choix esthétiques jusque-là inconciliables : le lyrisme romantique et le souci formel.

Thématique des Fleurs du mal

La partie «!Spleen et Idéal!» (titre qui prolonge l'ambivalence du titre générique) met en scène le «!spleen!», c'est-à-dire l'ennui (au sens d'angoisse métaphysique), dont souffre le poète, et son aspiration vers un «!idéal!», infini sublime où règne la plénitude de l'être. Spleen est un mot anglais qui désigne la rate : en effet, on croyait autrefois, selon la théorie des humeurs d'Hippocrate, que le sentiment de mélancolie était d'origine physiologique et, plus précisément, qu'il venait de la bile noire sécrétée par la rate. Le mot «!spleen!» traduit donc chez Baudelaire l'ennui et le dégoût généralisé de la vie.

La même thématique ambivalente alimente la totalité du recueil des Fleurs du mal et lui donne sa dynamique conflictuelle. Le poète y exprime les tourments de sa propre âme, écartelée entre le sublime et le sordide, tiraillée entre une double aspiration vers Dieu et vers Satan. À partir de son expérience personnelle, il traite ainsi du conflit éternel entre l'esprit et la chair, l'ailleurs et l'ici-bas.

Poétique baudelairienne

Pour échapper au spleen, le poète a recours au langage poétique, qui seul a la capacité de donner sens et de transmuer les réalités les plus banales et les plus viles. Le langage peut aussi métamorphoser l'amour : il transfigure la passion sensuelle du poète pour Jeanne Duval («!Parfum exotique!», «!la Chevelure!», etc.) comme son amour éthéré pour Mme Sabatier («!l'Aube spirituelle!», «!Invitation au voyage!», etc.).

Le sonnet «!Correspondances!», qui est une sorte d'art poétique baudelairien, montre que, chez cet auteur, les images ne sont pas seulement des symboles conventionnels, mais révèlent un rapport absolu entre les choses et leur signification : c'est la loi de l'«!analogie universelle !».

 
Charles Baudelaire

Dans un univers confus, indéchiffrable au commun des mortels, seul le poète, grâce à son imagination - cette «!reine des facultés!» qui est capacité à créer des images - peut faire surgir le sens en faisant correspondre ce qui est disparate et morcelé : «!La Nature est un temple où de vivants piliers!/!Laissent parfois sortir de confuses paroles!;!/!L'homme y passe à travers des forêts de symboles!/!Qui l'observent avec des regards familiers.!» («!Correspondances!», les Fleurs du mal, IV). Les mots revêtent un caractère proprement magique, et l'écriture devient une «!sorcellerie évocatoire!». Annonciateur de Rimbaud, Baudelaire se voit comme un «!alchimiste du Verbe!», capable de transmuer la «!boue!» en «!or!».

Cheminement des Fleurs du mal

Le cheminement des Fleurs du mal ne permet pourtant pas, semble-t-il, de vaincre le spleen, ce sentiment qui écrase le poète. Les différentes expériences, qui sont autant d'étapes dans le recueil, se révèlent sans réelle issue : la grande ville des «!Tableaux parisiens!» est pleine de dangers et de tentations, les paradis artificiels de la drogue ou de l'alcool («!le Vin!»), comme l'amour et la volupté («!Fleurs du mal!»), sont décevants et asservissent l'âme. Après une brève tentative de «!Révolte!», que le poète veut universelle, le recueil débouche sur la «!Mort!», ce qui paraît confirmer l'échec du projet poétique. Cependant, c'est dans la mort que Baudelaire trouve un ultime moyen de résoudre la contradiction du Bien et du Mal : la mort est alors envisagée non comme une fin mais comme un passage vers un univers réconcilié, où le poète est avide de découvrir un monde nouveau, encore inconnu. Ce point de vue explique sans doute la sensualité donnée au thème macabre dans le célèbre poème «!la Mort des amants!».

Le recueil se termine en outre par ces vers significatifs : «!Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe!?!/!Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!!!» («!le Voyage!», les Fleurs du mal, CXXVI).

L'œuvre critique

L'Art romantique (posthume, 1869) regroupe l'ensemble des textes que Baudelaire consacra à la vie littéraire de son temps et aux grands auteurs dont il se sentait proche. Les textes les plus importants de ce recueil sont consacrés à Edgar Poe, à Théophile Gautier, à Madame Bovary de Flaubert, et aux Misérables de Victor Hugo.

Les textes de critique d'art de Baudelaire furent réunis et publiés en 1868 sous le titre Curiosités esthétiques. Ce recueil regroupe essentiellement les comptes rendus des Salons de 1845, de 1846 et de 1859, celui de l'Exposition universelle de 1855, mais aussi un texte important sur Constantin Guys, le Peintre de la vie moderne, et plusieurs essais sur la vie et l'œuvre d'Eugène Delacroix. Ce à quoi il faut ajouter des essais variés, consacrés notamment aux aquafortistes, à la caricature et plus généralement au comique dans les arts.

Il existe une grande cohérence entre l'œuvre de Baudelaire poète et l'œuvre de Baudelaire critique d'art. Il s'illustra dans l'un et l'autre genre avec la même audace puisque, en art comme en poésie, il érigea sa propre esthétique : le surnaturalisme, qui alliait le bizarre et la modernité.

Mode et modernité dans l'art

Baudelaire se fit, en art comme en poésie, le chantre de la modernité. Dans le Peintre de la vie moderne, il écrivait à propos de Constantin Guys : «!Il s'agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de tirer l'éternel du transitoire. […] La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable.!»

Par modernité, il entendait donc l'adéquation de l'œuvre d'art à son temps : une toile, selon lui, devait exprimer son époque, et pour ce faire la représenter dans sa particularité éphémère. C'est ce qu'il aimait dans les lavis et les dessins à la plume de Constantin Guys, qui croquait pour la presse des silhouettes et des scènes de la vie contemporaine, célébrant ainsi l'«!héroïsme de la vie moderne!».

Cette double nature du Beau, défini comme la synthèse de la modernité (du transitoire) et de l'immuable (la perfection formelle), empêchait Baudelaire de se laisser séduire par les modes éphémères, mais aussi d'établir des critères purement formels, susceptibles de le conduire à célébrer un art d'une froide perfection, dénué d'émotion.

Baudelaire se montra d'ailleurs un critique clairvoyant : s'il fut naturellement réticent à l'égard des peintres officiels, il ne fut pas davantage pris au piège de sa sensibilité romantique : c'est ce qui lui permit, par exemple, d'être sévère à l'égard du peintre romantique Ary Scheffer, «!singe du sentiment!», dont le coup de pinceau restait en réalité très académique (Salon de 1846). A contrario, ses opinions nuancées sur certaines toiles d'Ingres, peintre pourtant académique et néoclassique, montrent à quel point Baudelaire se situait au-delà des querelles d'école.

Le bizarre

Le bizarre est l'autre versant du «!surnaturalisme!» baudelairien. Selon Baudelaire, en effet, le Beau «!contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et […] c'est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement beau!» (Exposition universelle de 1855).

Or, la caricature est pour Baudelaire l'une des manifestations les plus intéressantes du «!bizarre!» : admirateur de Daumier, il alla jusqu'à ériger en principe esthétique général l'idée d'excès ou d'exagération, qui est en usage de façon systématique dans la caricature. L'excès ou, pour être plus précis, les déformations anatomiques faisaient, selon lui, toute la beauté de certaines toiles et toute la grâce de certains personnages d'Ingres, comme cette Odalisque dotée d'un trop grand nombre de vertèbres, lui conférant une silhouette anormalement longue et sinueuse. Cette liberté du peintre à l'égard du modèle fourni par la nature séduisait Baudelaire, qui ne se lassait pas de la louer comme une «!tricherie heureuse!» (Exposition universelle de 1855).

Pour Baudelaire, l'exagération caractérisait pareillement les eaux-fortes de Goya intitulées les Caprices (mais son propos peut s'appliquer également aux Désastres de la guerre) : ces visages blafards et fuyants surgis de l'ombre, ces masques grotesques ou animaliers, exprimaient à la perfection des sentiments extrêmes comme la peur, la haine ou l'horreur. Baudelaire considérait d'ailleurs Goya comme un caricaturiste, mais un caricaturiste «!artistique!», par opposition au caricaturiste «!historique!», le premier étant susceptible de produire un «!comique éternel!» quand le second ne donne qu'un «!comique fugitif!» (Quelques caricaturistes étrangers).

Baudelaire admirait aussi chez Delacroix (lui-même disciple de Goya) l'apparence inachevée, et d'autant plus expressive, de ses scènes de chasse : ce peintre ne se contente pas de reproduire fidèlement les images que lui procure le réel, mais s'attache à l'expression, au détriment de la précision du trait : c'est ainsi qu'il parvient à restituer la vérité des choses au-delà de leurs apparences. Cependant, chez ces trois peintres, l'accentuation du trait, la «!caricature!» n'est naturellement pas faite pour provoquer le rire ni dénoncer les ridicules de la bourgeoisie, comme c'est le cas chez Daumier!; en revanche, elle est porteuse du sens et de l'émotion des œuvres, et c'est en cela qu'elle est le véhicule privilégié de la vraie beauté.

Pour la nouveauté de son approche et la modernité de son esthétique, Baudelaire reste un nom important dans l'histoire de la critique d'art.

            Encyclopédie Encarta (c) Microsoft


    Retour au menu