Les Châtiments  -  Victor Hugo
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    Livre 2 - L'ordre est rétabli
  1. Idylles
  2. Au peuple
  3. Souvenir de la nuit du 4
  4. O soleil, ô face divine
  5. Puisque le juste est dans l'abîme
  6. L'autre président
  7. A l'obéissance passive
    Livre 3 - La famille est restaurée
  1. Apothéose
  2. L'homme a ri
  1. Fable ou histoire
  2. Ainsi les plus abjects...
  3. Querelles du sérail
  4. Orientale
  5. Un bon bourgeois dans sa maison
  6. Splendeurs
  7. Joyeuse vie
  8. L'empereur s'amuse
  9. Sentiers où l'herbe se balance
  10. O Robert, un conseil...
  11. L'histoire a pour égout...
  12. A propos de la loi Faider
  13. Le bord de la mer
  14. Non

LIVRE 2 - L'ORDRE EST RÉTABLI
         I- Idylles
    LE SÉNAT
Vibrez, trombone et chanterelle !
Les oiseaux chantent dans les nids.
La joie est chose naturelle.
Que Magnan danse la trénis
Et Saint-Arnaud la pastourelle !
    LES CAVES DE LILLE
Miserere !
Miserere !
    LE CONSEIL D'ÉTAT
Des lampions dans les charmilles !
Des lampions dans les buissons !
Mêlez vous, sabres et mantilles !
Chantez en choeur, les beaux garçons !
Dansez en rond, les belles filles !
    LES GRENIERS DE ROUEN
Miserere !
Miserere !
    LE CORPS LÉGISLATIF
Jouissons ! l'amour nous réclame.
Chacun, pour devenir meilleur,
Cueille son miel, nourrit son âme,
L'abeille aux lèvres de la fleur,
Le sage aux lèvres de la femme !
    BRUXELLES, LONDRES, BELLE-ISLE, JERSEY
Miserere !
Miserere !
    L'HOTEL DE VILLE
L'empire se met aux croisées
Rions, jouons, soupons, dînons.
Des pétards aux Champs-Elysées !
A l'oncle il fallait des canons,
Il faut au neveu des fusées.
    LES PONTONS
Miserere !
Miserere !
    L'ARMÉE
Pas de scrupules ! pas de morgue !
A genoux ! un bedeau paraît.
Le tambour obéit à l'orgue.
Notre ardeur sort du cabaret,
Et notre gloire est à la morgue.
    LAMBESSA
Miserere !
Miserere !
    LA MAGISTRATURE
Mangeons, buvons, tout le conseille !
Heureux l'ami du raisin mûr,
Qui toujours, riant sous sa treille,
Trouve une grappe sur son mur
Et dans sa cave une bouteille !
    CAYENNE
Miserere !
Miserere !
    LES ÉVÈQUES
Jupiter l'ordonne, on révère
Le succès, sur le trône assis.
Trinquons ! Le prêtre peu sévère
Vide son âme de soucis
Et de vin vieux emplit son verre !
    LE CIMETIÈRE MONTMARTRE
Miserere !
Miserere !

                                    7 avril. Jersey.

        II- Au peuple

Partout pleurs, sanglots, cris funèbres.
Pourquoi dors-tu dans les ténèbres ?
Je ne veux pas que tu sois mort.
Pourquoi dors-tu dans les ténèbres ?
Ce n'est pas l'instant où l'on dort.
La pâle Liberté gît sanglante à ta porte.
Tu le sais, toi mort, elle est morte.
Voici le chacal sur ton seuil,
Voici les rats et les belettes,
Pourquoi t'es-tu laissé lier de bandelettes ?
Ils te mordent dans ton cercueil !
De tous les peuples on prépare
Le convoi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Paris sanglant, au clair de lune,
Rêve sur la fosse commune ;
Gloire au général Trestaillon !
Plus de presse, plus de tribune.
Quatrevingt-neuf porte un bâillon.
La Révolution, terrible à qui la touche,
Est couchée à terre ! un Cartouche
Peut ce qu'aucun titan ne put.
Escobar rit d'un rire oblique.
On voit traîner sur toi, géante République,
Tous les sabres de Lilliput.

Le juge, marchand en simarre,
Vend la loi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Sur Milan, sur Vienne punie,
Sur Rome étranglée et bénie,
Sur Pesth, torturé sans répit,
La vieille louve Tyrannie,
Fauve et joyeuse, s'accroupit.
Elle rit ; son repaire est orné d'amulettes
Elle marche sur des squelettes
De la Vistule au Tanaro ;
Elle a ses petits qu'elle couve.
Qui la nourrit ? qui porte à manger à la louve ?
C'est l'évêque, c'est le bourreau.
Qui s'allaite à son flanc barbare ?
C'est le roi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Jésus, parlant à ses apôtres,
Dit : Aimez-vous les uns les autres.
Et voilà bientôt deux mille ans
Qu'il appelle nous et les nôtres
Et qu'il ouvre ses bras sanglants.
Rome commande et règne au nom du doux prophète.
De trois cercles sacrés est faite
La tiare du Vatican ;
Le premier est une couronne,
Le second est le noeud des gibets de Vérone,
Et le troisième est un carcan.
Mastaï met cette tiare
Sans effroi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Ils bâtissent des prisons neuves.
Ô dormeur sombre, entends les fleuves
Murmurer, teints de sang vermeil ;
Entends pleurer les pauvres veuves,
Ô noir dormeur au dur sommeil !
Martyrs, adieu ! le vent souffle, les pontons flottent ;
Les mères au front gris sanglotent ;
Leurs fils sont en proie aux vainqueurs ;
Elles gémissent sur la route ;
Les pleurs qui de leurs yeux s'échappent goutte à goutte
Filtrent en haine dans nos coeurs.

Les juifs triomphent, groupe avare
Et sans foi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

Mais il semble qu'on se réveille !
Est-ce toi que j'ai dans l'oreille,
Bourdonnement du sombre essaim ?
Dans la ruche frémit l'abeille ;
J'entends sourdre un vague tocsin.
Les Césars, oubliant qu'il est des gémonies,
S'endorment dans les symphonies
Du lac Baltique au mont Etna ;
Les peuples sont dans la nuit noire
Dormez, rois ; le clairon dit aux tyrans : victoire !
Et l'orgue leur chante : hosanna !
Qui répond à cette fanfare ?
Le beffroi... -
Lazare ! Lazare ! Lazare !
Lève-toi !

                                    9 novembre. Jersey.

III- Souvenir de la nuit du 4

L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand'mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : -Comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe !
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule .
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République. -
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand'mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

                                    2 décembre 1852. Jersey

               IV

Ô soleil, ô face divine,
Fleurs sauvages de la ravine,
Grottes où l'on entend des voix,
Parfums que sous l'herbe ou devine,
Ô ronces farouches des bois,

Monts sacrés, hauts comme l'exemple,
Blancs comme le fronton d'un temple,
Vieux rocs, chêne des ans vainqueur,
Dont je sens, quand je vous contemple,
L'âme éparse entrer dans mon coeur,

Ô vierge forêt, source pure,
Lac limpide que l'ombre azure,
Eau chaste où le ciel resplendit,
Conscience de la nature,
Que pensez-vous de ce bandit ?

                                    22 novembre. Jersey.

                      V

Puisque le juste est dans l'abîme,
Puisqu'on donne le sceptre au crime,
Puisque tous les droits sont trahis,
Puisque les plus fiers restent mornes,
Puisqu'on affiche au coin des bornes
Le déshonneur de mon pays ;

Ô République de nos pères,
Grand Panthéon plein de lumières,
Dôme d'or dans le libre azur,
Temple des ombres immortelles,
Puisqu'on vient avec des échelles
Coller l'empire sur ton mur -

Puisque toute âme est affaiblie,
Puisqu'on rampe, puisqu'on oublie
Le vrai, le pur, le grand, le beau,
Les yeux indignés de l'histoire,
L'honneur, la loi, le droit, la gloire,
Et ceux qui sont dans le tombeau ;

Je t'aime, exil ! douleur, je t'aime !
Tristesse, sois mon diadème !
Je t'aime, altière pauvreté !
J'aime ma porte aux vents battue.
J'aime le deuil, grave statue
Qui vient s'asseoir à mon côté.

J'aime le malheur qui m'éprouve,
Et cette ombre où je vous retrouve,
Ô vous à qui mon coeur sourit,
Dignité, foi, vertu voilée,
Toi, liberté, fière exilée,
Et toi, dévouement, grand proscrit !

J'aime cette île solitaire,
Jersey, que la libre Angleterre
Couvre de son vieux pavillon,
L'eau noire, par moments accrue,
Le navire, errante charrue,
Le flot, mystérieux sillon.

J'aime ta mouette, Ô mer profonde,
Qui secoue en perles ton onde
Sur son aile aux fauves couleurs,
Plonge dans les lames géantes,
Et sort de ces gueules béantes
Comme l'âme sort des douleurs.

J'aime la roche solennelle
D'où j'entends la plainte éternelle,
Sans trêve comme le remords,
Toujours renaissant dans les ombres,
Des vagues sur les écueils sombres,
Des mères sur leurs enfants morts.

                                    10 décembre. Jersey.

       VI- L'autre président

Donc, vieux partis, voilà votre homme consulaire !
Aux jours sereins, quand rien ne nous vient assiéger,
Dogue aboyant, dragon farouche, hydre en colère ;
Taupe aux jours du danger !

Pour le mettre à leur tête, en nos temps que visite
La tempête, brisant le cèdre et le sapin,
Ils prirent le plus lâche, et, n'ayant pas Thersite,
Ils choisirent Dupin.

Tandis que ton bras fort pioche, laboure et bêche,
Ils te trahissaient, peuple, ouvrier souverain ;
Ces hommes opposaient le président Bobèche
Au président Mandrin.

        II
Sa voix aigre sonnait comme une calebasse ;
Ses quolibets mordaient l'orateur au coeur chaud -
Ils avaient, insensés, mis l'âme la plus basse
Au faîte le plus haut ;

Si bien qu'un jour, ce fut un dénouement immonde,
Des soldats, sabre au poing, quittant leur noir chevet
Entrèrent dans ce temple auguste où, pour le monde,
L'aurore se levait !

Devant l'autel des lois qu'on renverse et qu'on brûle,
Honneur, devoir, criaient à cet homme : - Debout !
Dresse-toi, foudre en main, sur ta chaise curule ! -
Il plongea dans l'égout.

        III
Qu'il y reste à jamais ! qu'à jamais il y dorme !
Que ce vil souvenir soit à jamais détruit !
Qu'il se dissolve là ! qu'il y devienne informe,
Et pareil à la nuit !

Que, même en l'y cherchant, ou le distingue à peine
Dans ce profond cloaque, affreux, morne, béant !
Et que tout ce qui rampe et tout ce qui se traîne
Se mêle à son néant !

Et que l'histoire un jour ne s'en rende plus compte,
Et dise en le voyant dans la fange étendu :
- On ne sait ce que c'est. C'est quelque vieille honte
Dont le nom s'est perdu ! -

        IV
Oh ! si ces âmes-là par l'enfer sont reçues,
S'il ne les chasse pas dans son amer orgueil,
Poëtes qui, portant dans vos mains des massues,
Gardez ce sombre seuil,

N'est-ce p as ? dans ce gouffre où la justice habite,
Dont l'espérance fuit le flamboyant fronton,
Dites, toi, de Pathmos lugubre cénobite,
Toi Dante, toi Milton,

Toi, vieil Eschyle, ami des plaintives Electres,
Ce doit être une joie, ô vengeurs des vertus,
De faire souffleter les masques par les spectres,
Et Dupin par Brutus !

                                    Bruxelles. Décembre 1851.

VII- A l'obéissance passive

Ô soldats de l'an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées,
Prussiens, autrichiens,
Contre toutes les Tyrs et toutes les Sodomes,
Contre le czar du nord, contre ce chasseur d'hommes
Suivi de tous ses chiens,

Contre toute l'Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers !

Au levant, au couchant, partout, au sud, au pôle,
Avec de vieux fusils sonnant sur leur épaule,
Passant torrents et monts,
Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres,
Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres
Ainsi que des démons !

La Liberté sublime emplissait leurs pensées.
Flottes prises d'assaut, frontières effacées
Sous leur pas souverain,
Ô France, tous les jours, c'était quelque prodige,
Chocs, rencontres, combats ; et Joubert sur l'Adige,
Et Marceau sur le Rhin !

On battait l'avant-garde, on culbutait le centre ;
Dans la pluie et la neige et de l'eau jusqu'au ventre,
On allait ! en avant !
Et l'un offrait la paix, et l'autre ouvrait ses portes,
Et les trônes, roulant comme des feuilles mortes,
Se dispersaient au vent !

Oh ! que vous étiez grands au milieu des mêlées,
Soldats ! L'oeil plein d'éclairs, faces échevelées
Dans le noir tourbillon,
Ils rayonnaient, debout, ardents, dressant la tête
Et comme les lions aspirent la tempête
Quand souffle l'aquilon,

Eux, dans l'emportement de leurs luttes épiques,
Ivres, ils savouraient tous les bruits héroïques,
Le fer heurtant le fer,
La Marseillaise ailée et volant dans les balles,
Les tambours, les obus, les bombes, les cymbales,
Et ton rire, ô Kléber !

La Révolution leur criait : - Volontaires,
Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! -
Contents, ils disaient oui.
- Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes ! -
Et l'on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes
Sur le monde ébloui !

La tristesse et la peur leur étaient inconnues.
Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues
Si ces audacieux,
En retournant les yeux dans leur course olympique,
Avaient vu derrière eux la grande République
Montrant du doigt les cieux !

      II
Oh ! vers ces vétérans quand notre esprit s'élève,
Nous voyons leur front luire et resplendir leur glaive,
Fertile en grands travaux.
C'étaient là les anciens. Mais ce temps les efface !
France, dans ton histoire ils tiennent trop de place.
France, gloire aux nouveaux !

Oui, gloire à ceux d'hier ! ils se mettent cent mille,
Sabres nus, vingt contre un, sans crainte, et par la ville
S'en vont, tambours battants.
A mitraille ! leur feu brille, l'obusier tonne,
Victoire ! ils ont tué, carrefour Tiquetonne,
Un enfant de sept ans !

Ceux-ci sont des héros qui n'ont pas peur des femmes
Ils tirent sans pâlir, gloire à ces grandes âmes !
Sur les passants tremblants.
On voit, quand dans Paris leur troupe se promène,
Aux fers de leurs chevaux de la cervelle humaine
Avec des cheveux blancs !

Ils montent à l'assaut des lois ; sur la patrie
Ils s'élancent ; chevaux, fantassins, batterie,
Bataillon, escadron,
Gorgés, payés, repus, joyeux, fous de colère,
Sonnant la charge, avec Maupas pour vexillaire
Et Veuillot pour clairon.

Tout, le fer et le plomb, manque à nos bras farouches,
Le peuple est sans fusils, le peuple est sans cartouches,
Braves ! c'est le moment !
Avec quelques tribuns la loi demeure seule.
Derrière vos canons chargés jusqu'à la gueule
Risquez-vous hardiment !

Ô soldats de décembre ! ô soldats d'embuscades
Contre votre pays ! honte à vos cavalcades
Dans Paris consterné !
Vos pères, je l'ai dit, brillaient comme le phare ;
Ils bravaient, en chantant une haute fanfare,
La mort, spectre étonné ;

Vos pères combattaient les plus fières armées,
Le prussien blond, le russe aux foudres enflammées,
Le catalan bruni,
Vous, vous tuez des gens de bourse et de négoce.
Vos pères, ces géants, avaient pris Saragosse,
Vous prenez Tortoni !

Histoire, qu'en dis-tu ? les vieux dans les batailles
Couraient sur les canons vomissant les mitrailles ;
Ceux-ci vont, sans trembler,
Foulant aux pieds vieillards sanglants, femmes mourantes
Droit au crime. Ce sont deux façons différentes
De ne pas reculer.

      III
Cet homme fait venir, à l'heure où la nuit voile
Paris dormant encor.
Des généraux français portant la triple étoile
Sur l'épaulette d'or ;

Il leur dit : « Ecoutez, pour vos yeux seuls j'écarte
L'ombre que je répands ;
Vous crûtes jusqu'ici que j'étais Bonaparte,
Mon nom est Guet-apens.

» C'est demain le grand jour, le jour des funérailles
Et le jour des douleurs.
Vous allez vous glisser sans bruit sous les murailles
Comme font les voleurs ;

» Vous prendrez cette pince, à mon service usée,
Que je cache sur moi,
Et vous soulèverez avec une pesée
La porte de la loi ;

» Puis, hourrah ! sabre au vent, et la police en tête !
Et main basse sur tout,
Sur vos chefs africains, sur quiconque est honnête,
Sur quiconque est debout,

Sur les représentants, et ceux qu'ils représentent,
Sur Paris terrassé !
Et je vous paîrai bien ! » les généraux consentent
Vidocq eût refusé.

      IV
Maintenant, largesse au prétoire !
Trinquez, soldats ! et depuis quand
A-t-on peur de rire et de boire ?
Fête aux casernes ! fête au camp !

L'orgie a rougi leur moustache,
Les rouleaux d'or gonflent leur sac ;
Pour capitaine ils ont Gamache,
Ils ont Cocagne pour bivouac.

La bombance après l'équipée.
On s'attable. Hier on tua.
Ô Napoléon, ton épée
Sert de broche à Gargantua.

Le meurtre est pour eux la victoire
Leur oeil, par l'ivresse endormi,
Prend le déshonneur pour la gloire
Et les français pour l'ennemi.

France, ils t'égorgèrent la veille.
Ils tiennent, c'est leur lendemain,
Dans une main une bouteille
Et ta tête dans l'autre main.

Ils dansent en rond, noirs quadrilles,
Comme des gueux dans le ravin ;
Troplong leur amène des filles,
Et Sibour leur verse du vin.

Et leurs banquets sans fin ni trêves
D'orchestres sont environnés... -
Nous faisions pour vous d'autres rêves,
Ô nos soldats infortunés !

Nous rêvions pour vous l'âpre bise,
La neige au pied du noir sapin,
La brèche où la bombe se brise,
Les nuits sans feu, les jours sans pain.

Nous rêvions les marches forcées,
La faim, le froid, les coups hardis,
Les vieilles capotes usées,
Et la victoire un contre dix ;

Nous rêvions, ô soldats esclaves,
Pour vous et pour vos généraux,
La sainte misère des braves,
La grande tombe des héros !

Car l'Europe en ses fers soupire,
Car dans les coeurs un ferment bout,
Car voici l'heure où Dieu va dire :
Chaînes, tombez ! Peuples, debout !

L'histoire ouvre un nouveau registre
Le penseur, amer et serein,
Derrière l'horizon sinistre
Entend rouler des chars d'airain.

Un bruit profond trouble la terre ;
Dans les fourreaux s'émeut l'acier ;
Ce vent qui souffle sort, ô guerre,
Des naseaux de ton noir coursier !

Vers l'heureux but où Dieu nous mène,
Soldats ! rêveurs, nous vous poussions,
Tête de la colonne humaine,
Avant-garde des nations !

Nous rêvions, bandes aguerries,
Pour vous, fraternels conquérants,
La grande guerre des patries,
La chute immense des tyrans !

Nous réservions votre effort juste,
Vos fiers tambours, vos rangs épais,
Soldats, pour cette guerre auguste
D'où sortira l'auguste paix !

Dans nos songes visionnaires,
Nous vous voyions, ô nos guerriers,
Marcher joyeux dans les tonnerres,
Courir sanglants dans les lauriers,

Sous la fumée et la poussière
Disparaître en noirs tourbillons,
Puis tout à coup dans la lumière
Surgir, radieux bataillons,

Et passer, légion sacrée
Que les peuples venaient bénir,
Sous la haute porte azurée
De l'éblouissant avenir !

      V
Donc, les soldats français auront vu, jours infâmes !
Après Brune et Desaix, après ces grandes âmes
Que nous admirons tous,
Après Turenne, après Xaintraille, après Lahire,
Poulailler leur donner des drapeaux et leur dire
Je suis content de vous !

Ô drapeaux du passé, si beaux dans les histoires,
Drapeaux de tous nos preux et de toutes nos gloires,
Redoutés du fuyard,
Percés, troués, criblés, sans peur et sans reproche,
Vous qui dans vos lambeaux mêlez le sang de Hoche
Et le sang de Bayard,

Ô vieux drapeaux ! sortez des tombes. des abîmes !
Sortez en foule, ailés de vos haillons sublimes,
Drapeaux éblouissants !
Comme un sinistre essaim qui sur l'horizon monte,
Sortez, venez, volez, sur toute cette honte
Accourez frémissants !

Délivrez nos soldats de ces bannières viles !
Vous qui chassiez les rois, vous qui preniez les villes,
Vous en qui l'âme croit,
Vous qui passiez les monts, les gouffres et les fleuves,
Drapeaux sous qui l'on meurt, chassez ces aigles neuves,
Drapeaux sous qui l'on boit !

Que nos tristes soldats fassent la différence !
Montrez-leur ce que c'est que les drapeaux de France,
Montrez vos sacrés plis
Qui flottaient sur le Rhin, sur la Meuse et la Sambre,
Et faites, ô drapeaux, auprès du Deux-Décembre
Frissonner Austerlitz !

      VI
Hélas ! tout est fini. Fange ! néant ! nuit noire !
Au-dessus de ce gouffre où croula notre gloire,
Flamboyez, noms maudits !
Maupas, Morny, Magnan, Saint-Arnaud, Bonaparte !
Courbons nos fronts ! Gomorrhe a triomphé de Sparte !
Cinq hommes ! cinq bandits !

Toutes les nations tour à tour sont conquises :
L'Angleterre, pays des antiques franchises,
Par les vieux neustriens,
Rome par Alaric, par Mahomet Byzance,
La Sicile par trois chevaliers, et la France
Par cinq galériens.

Soit. Régnez ! emplissez de dégoût la pensée,
Notre-Dame d'encens, de danses l'Elysée,
Montmartre d'ossements.
Régnez ! liez ce peuple, à vos yeux populace,
Liez Paris, liez la France à la culasse
De vos canons fumants !

      VII
Quand sur votre poitrine il jeta sa médaille,
Ses rubans et sa croix, après cette bataille
Et ce coup de lacet,
Ô soldats dont l'Afrique avait hâlé la joue,
N'avez-vous donc pas vu que c'était de la boue
Qui vous éclaboussait ?

Oh ! quand je pense à vous, mon oeil se mouille encore !
Je vous pleure, soldats ! je pleure votre aurore,
Et ce qu'elle promit.
Je pleure ! car la gloire est maintenant voilée
Car il est parmi vous plus d'une âme accablée
Qui songe et qui frémit !

Ô soldats ! nous aimions votre splendeur première ;
Fils de la république et fils de la chaumière,
Que l'honneur échauffait,
Pour servir ce bandit qui dans leur sang se vautre,
Hélas ! pour trahir l'une et déshonorer l'autre,
Que vous ont-elles fait ?

Après qui marchez-vous, ô légion trompée ?
L'homme à qui vous avez prostitué l'épée,
Ce criminel flagrant,
Cet aventurier vil en qui vous semblez croire,
Sera Napoléon le Petit dans l'histoire,
Ou Cartouche le Grand.

Armée ! ainsi ton sabre a frappé par derrière
Le serment, le devoir, la loyauté guerrière,
Le droit aux vents jeté,
La révolution sur ce grand siècle empreinte,
Le progrès, l'avenir, la République sainte,
La sainte Liberté,

Pour qu'il puisse asservir ton pays que tu navres,
Pour qu'il puisse s'asseoir sur tous ces grands cadavres,
Lui, ce nain tout-puissant,
Qui préside l'orgie immonde et triomphale,
Qui cuve le massacre et dont la gorge exhale
L'affreux hoquet du sang !

      VIII
Ô Dieu, puisque voilà ce qu'a fait cette armée,
Puisque, comme une porte est barrée et fermée,
Elle est sourde à l'honneur,
Puisque tous ces soldats rampent sans espérance,
Et puisque dans le sang ils ont éteint la France,
Votre flambeau, Seigneur !

Puisque la conscience en deuil est sans refuge
Puisque le prêtre assis dans la chaire, et le juge
D'hermine revêtu,
Adorent le succès, seul vrai, seul légitime,
Et disent qu'il vaut mieux réussir par le crime,
Que choir par la vertu ;

Puisque les âmes sont pareilles à des filles ;
Puisque ceux-là sont morts qui brisaient les bastilles,
Ou bien sont dégradés ;
Puisque l'abjection, aux conseils misérables,
Sortant de tous les coeurs, fait les bouches semblables
Aux égouts débordés ;

Puisque l'honneur décroît pendant que César monte ;
Puisque dans ce Paris on n'entend plus, ô honte,
Que des femmes gémir ;
Puisqu'on n'a plus de coeur devant les grandes tâches,
Puisque les vieux faubourgs, tremblant comme des lâches
Font semblant de dormir,

Ô Dieu vivant, mon Dieu ! prêtez-moi votre force,
Et, moi qui ne suis rien, j'entrerai chez ce corse
Et chez cet inhumain ;
Secouant mon vers sombre et plein de votre flamme,
J'entrerai là, Seigneur, la justice dans l'âme
Et le fouet à la main,

Et, retroussant ma manche ainsi qu'un belluaire,
Seul, terrible, des morts agitant le suaire
Dans ma sainte fureur,
Pareil aux noirs vengeurs devant qui l'on se sauve,
J'écraserai du pied l'antre et la bête fauve,
L'empire et l'empereur !

                                    7-13 janvier 1853. Jersey.

LIVRE III - LA FAMILLE EST RESTAURÉE
               I- Apothéose

Méditons. Il est bon que l'esprit se repaisse
De ces spectacles-là. L'on n'était qu'une espèce
De perroquet ayant un grand nom pour perchoir,
Pauvre diable de prince, usant son habit noir,
Auquel mil huit cent quinze avait coupé les vivres.
On n'avait pas dix sous, on emprunte cinq livres.
Maintenant, remarquons l'échelle, s'il vous plaît.
De l'écu de cinq francs on s'élève au billet
Signé Garat ; bravo ! puis du billet de banque
On grimpe au million, rapide saltimbanque ;
Le million gobé fait mordre au milliard.
On arrive au lingot en partant du liard.
Puis carrosses, palais, bals, festins, opulence
On s'attable au pouvoir et l'on mange la France.
C'est ainsi qu'un filou devient homme d'état.

Qu'a-t-il fait ? Un délit ? Fi donc ! un attentat ;
Un grand acte, un massacre, un admirable crime
Auquel la haute cour prête serment. L'abîme
Se referme en poussant un grognement bourru.
La Révolution sous terre a disparu
En laissant derrière elle une senteur de soufre.
Romieu montre la trappe et dit : Voyez le gouffre !

Vivat Mascarillus ! roulement de tambours.
On tient sous le bâton parqués dans les faubourgs
Les ouvriers ainsi que des noirs dans leurs cases
Paris sur ses pavés voit neiger les ukases
La Seine devient glace autant que la Néva.
Quant au maître, il triomphe ; il se promène, va
De préfet en préfet, vole de maire en maire,
Orné du Deux-Décembre, du Dix-huit Brumaire,
Bombardé de bouquets, voituré dans des chars,
Laid, joyeux, salué par es choeurs de mouchards.
Puis il rentre empereur au Louvre, il parodie
Napoléon, il lit l'histoire, il étudie
L'honneur et la vertu dans Alexandre six ;
Il s'installe au palais du spectre Médicis ;
Il quitte par moments sa pourpre ou sa casaque,
Flâne autour du bassin en pantalon cosaque,
Et riant, et semant les miettes sur ses pas,
Donne aux poissons le pain que les proscrits n'ont pas.
La caserne l'adore, on le bénit au prône ;
L'Europe est sous ses pieds et tremble sous son trône ;
Il règne par la mitre et par le hausse-col.
Ce trône a trois degrés, parjure, meurtre et vol.

Ô Carrare ! ô Paros ! ô marbres pentéliques !
Ô tous les vieux héros des vieilles républiques !
Ô tous les dictateurs de l'empire latin !
Le moment est venu d'admirer le destin.
Voici qu'un nouveau dieu monte au fronton du temple.
Regarde, peuple, et toi, froide histoire, contemple.
Tandis que nous, martyrs du droit, nous expions,
Avec les Périclès, avec les Scipions,
Sur les frises où sont les victoires aptères,
Au milieu des césars trainés par des panthères,
Vêtus de pourpre et ceints du laurier souverain,
Parmi les aigles d'or et les louves d'airain,
Comme un astre apparaît parmi ses satellites,
Voici qu'à la hauteur des empereurs stylites,
Entre Auguste à l'oeil calme et Trajan au front pur,
Resplendit, immobile en l'éternel azur,
Sur vous, ô panthéons, sur vous, ô propylées,
Robert Macaire avec ses bottes éculées !

                                    31 janvier.

         II- L'homme a ri

« M. Victor Hugo vient de publier à Bruxelles un livre qui a pour titre :
Napoléon le Petit, et qui renferme les calomnies les plus odieuses contre le prince-président.
» On raconte qu'un des jours de la semaine dernière un fonctionnaire apporte ce libellé à Saint-Cloud. Lorsque Louis-Napoléon le vit, il le prit, l'examina un instant avec le sourire du mépris sur les lèvres,
puis s'adressant aux personnes qui l'entouraient, il dit, en leur montrant le pamphlet :
« Voyez, messieurs, voici Napoléon le Petit, par Victor Hugo le Grand. »

         (JOURNAUX ÉLYSÉENS, AOUT 1852.)

Ah ! tu finiras bien par hurler, misérable !
Encor tout haletant de ton crime exécrable,
Dans ton triomphe abject, si lugubre et si prompt,
Je t'ai saisi. J'ai mis l'écriteau sur ton front ;
Et maintenant la foule accourt, et te bafoue.
Toi, tandis qu'au poteau le châtiment te cloue,
Que le carcan te force à lever le menton,
Tandis que, de ta veste arrachant le bouton,
L'histoire à mes côtés met à nu ton épaule,
Tu dis : je ne sens rien ! et tu nous railles, drôle !
Ton rire sur mon nom gaîment vient écumer ;
Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer.

                                    Jersey. 30 octobre 1852.

    III- Fable ou histoire

Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d'une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant ; lui, fut atroce.
Il avait endossé le droit d'être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : Je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits !
Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines
Il entassa l'horreur, le meurtre, les rapines,
Egorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s'écriait, poussant d'affreux rugissements :
Regardez, ma caverne est pleine d'ossements ;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !
Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grands pas.
Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : Tu n'es qu'un singe !

                                    6 novembre. Jersey.

                              IV

Ainsi les plus abjects, les plus vils, les plus minces
Vont régner ! ce n'était pas assez des vrais princes
Qui de leur sceptre d'or insultent le ciel bleu,
Et sont rois et méchants par la grâce de Dieu !
Quoi ! tel gueux qui, pourvu d'un titre en bonne forme,
A pour toute splendeur sa bâtardise énorme,
Tel enfant du hasard, rebut des échafauds,
Dont le nom fut un vol et la naissance un faux,
Tel bohème pétri de ruse et d'arrogance,
Tel intrus entrera dans le sang de Bragance,
Dans la maison d'Autriche ou dans la maison d'Est,
Grâce à la fiction légale is pater est,
Criera : je suis Bourbon, ou : je suis Bonaparte,
Mettra cyniquement ses deux poings sur la carte,
Et dira : c'est à moi ! je suis le grand vainqueur !
Sans que les braves gens, sans que les gens de coeur
Rendent à Curtius ce monarque de cire !
Et, quand je dis : faquin ! l'écho répondra : sire !
Quoi ! ce royal croquant, ce maraud couronné,
Qui, d'un boulet de quatre à la cheville orné,
Devrait dans un ponton pourrir à fond de cale,
Cette altesse en ruolz, ce prince en chrysocale,
Se fait devant la France, horrible, ensanglanté,
Donner de l'empereur et de la majesté,
Il trousse sa moustache en croc et la caresse,
Sans que sous les soufflets sa face disparaisse,
Sans que, d'un coup de pied l'arrachant à Saint-Cloud,
On le jette au ruisseau, dût-on salir l'égout !

- Paix ! disent cent crétins. C'est fini. Chose faite.
Le Trois pour cent est Dieu, Mandrin est son prophète.
Il règne. Nous avons voté ! Vox populi. -
Oui, je comprends, l'opprobre est un fait accompli.
Mais qui donc a voté ? Mais qui donc tenait l'urne ?
Mais qui donc a vu clair dans ce scrutin nocturne ?
Où donc était la loi dans ce tour effronté ?
Où donc la nation ? Où donc la liberté ?
Ils ont voté !

               Troupeau que la peur mène paître
Entre le sacristain et le garde champêtre
Vous qui, pleins de terreur. voyez, pour vous manger,
Pour manger vos maisons, vos bois, votre verger,
Vos meules de luzerne et vos pommes à cidre,
S'ouvrir tous les matins les mâchoires d'une hydre
Braves gens, qui croyez en vos foins, et mettez
De la religion dans vos propriétés ;
Âmes que l'argent touche et que l'or fait dévotes
Maires narquois, traînant vos paysans aux votes ;
Marguilliers aux regards vitreux ; curés camus
Hurlant à vos lutrins : Dæmonem laudamus ;
Sots, qui vous courroucez comme flambe une bûche ;
Marchands dont la balance incorrecte trébuche ;
Vieux bonshommes crochus, hiboux hommes d'état,
Qui déclarez, devant la fraude et l'attentat,
La tribune fatale et la presse funeste ;
Fats, qui, tout effrayés de l'esprit, cette peste,
Criez, quoique à l'abri de la contagion ;
Voltairiens, viveurs, fervente légion,
Saints gaillards, qui jetez dans la même gamelle
Dieu, l'orgie et la messe, et prenez pêle-mêle
La défense du ciel et la taille à Goton ;
Bons dos, qui vous courbez, adorant le bâton ;
Contemplateurs béats des gibets de l'Autriche
Gens de bourse effarés, qui trichez et qu'on triche ;
Invalides, lions transformés en toutous ;
Niais, pour qui cet homme est un sauveur ; vous tous
Qui vous ébahissez, bestiaux de Panurge,
Aux miracles que fait Cartouche thaumaturge ;
Noircisseurs de papier timbré, planteurs de choux,
Est-ce que vous croyez que la France, c'est vous,
Que vous êtes le peuple, et que jamais vous eûtes
Le droit de nous donner un maître, ô tas de brutes ?
Ce droit, sachez-le bien, chiens du berger Maupas,
Et la France et le peuple eux-mêmes ne l'ont pas.
L'altière Vérité jamais ne tombe en cendre.
La Liberté n'est pas une guenille à vendre,
Jetée au tas, pendue au clou chez un fripier.
Quand un peuple se laisse au piège estropier,
Le droit sacré, toujours à soi-même fidèle,
Dans chaque citoyen trouve une citadelle ;
On s'illustre en bravant un lâche conquérant,
Et le moindre du peuple en devient le plus grand.
Donc, trouvez du bonheur, ô plates créatures,
A vivre dans la fange et dans les pourritures,
Adorez ce fumier sous ce dais de brocart,
L'honnête homme recule et s'accoude à l'écart.
Dans la chute d'autrui je ne veux pas descendre.
L'honneur n'abdique point. Nul n'a droit de me prendre
Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour.
Tout l'univers aveugle est sans droit sur le jour.
Fût-on cent millions d'esclaves, je suis libre.
Ainsi parle Caton. Sur la Seine ou le Tibre,
Personne n'est tombé tant qu'un seul est debout.
Le vieux sang des aïeux qui s'indigne et qui bout,
La vertu, la fierté, la justice, l'histoire,
Toute une nation avec toute sa gloire
Vit dans le dernier front qui ne veut pas plier.
Pour soutenir le temple il suffit d'un pilier ;
Un français, c'est la France ; un romain contient Rome,
Et ce qui brise un peuple avorte aux pieds d'un homme.

                                    4 mai 1853. Jersey.

      V- Querelles du sérail

Ciel ! après tes splendeurs, qui rayonnaient naguères,
Liberté sainte ; après toutes ces grandes guerres,
Tourbillon inouï ;
Après ce Marengo qui brille sur la carte,
Et qui ferait lâcher le premier Bonaparte
A Tacite ébloui ;

Après ces messidors, ces prairials, ces frimaires,
Et tant de préjugés, d'hydres et de chimères,
Terrassés à jamais ;
Après le sceptre en cendre et la Bastille en poudre,
Le trône en flamme ; après tous ces grands coups de foudre
Sur tous ces grands sommets :

Après tous ces géants, après tous ces colosses,
S'acharnant malgré Dieu, comme d'ardents molosses,
Quand Dieu disait : va-t'en !
Après ton océan, République française,
Où nos pères ont vu passer Quatrevingt-treize
Comme Léviathan ;

Après Danton, Saint-Just et Mirabeau, ces hommes,
Ces titans, aujourd'hui cette France où nous sommes
Contemple l'embryon,
L'infiniment petit, monstrueux et féroce,
Et, dans la goutte d'eau, les guerres du volvoce
Contre le vibrion !
Honte ! France, aujourd'hui, voici ta grande affaire :
Savoir si c'est Maupas ou Morny qu'on préfère,
Là-haut, dans le palais ;
Tous deux ont sauvé l'ordre et sauvé les familles ;
Lequel l'emportera ? l'un a pour lui les filles,
Et l'autre, les valets.

                                    Bruxelles, janvier 1852

VI- Orientale

Lorsque Abd-el-Kader dans sa geôle
Vit entrer l'homme aux yeux étroits
Que l'histoire appelle - ce drôle, -
Et Troplong - Napoléon trois ; -

Qu'il vit venir, de sa croisée,
Suivi du troupeau qui le sert,
L'homme louche de l'Elysée,
Lui, l'homme fauve du désert ;

Lui, le sultan né sous les palmes,
Le compagnon des lions roux,
Le hadji farouche aux yeux calmes,
L'émir pensif, féroce et doux ;

Lui, sombre et fatal personnage
Qui, spectre pâle au blanc burnous,
Bondissait, ivre de carnage,
Puis tombait dans l'ombre à genoux ;

Qui, de sa tente ouvrant les toiles,
Et priant au bord du chemin,
Tranquille, montrait aux étoiles
Ses mains teintes de sang humain ;

Qui donnait à boire aux épées,
Et qui, rêveur mystérieux,
Assis sur des têtes coupées,
Contemplait la beauté des cieux ;

Voyant ce regard fourbe et traître,
Ce front bas, de honte obscurci,
Lui, le beau soldat, le beau prêtre,
Il dit : Quel est cet homme-ci ?

Devant ce vil masque à moustaches,
Il hésita ; mais on lui dit :
« Regarde, émir, passer les haches !
Cet homme, c'est César bandit.

» Ecoute ces plaintes amères
Et cette clameur qui grandit.
Cet homme est maudit par les mères,
Par les femmes il est maudit ;

» Il les fait veuves, Il les navre
Il prit la France et la tua,
Il ronge à présent son cadavre. »
Alors le hadji salua.

Mais au fond toutes ses pensées
Méprisaient le sanglant gredin
Le tigre aux narines froncées
Flairait ce loup avec dédain.

                                    20 novembre. Jersey.

VII- Un bon bourgeois dans sa maison

« Mais que je suis donc heureux d'être né en Chine !
Je possède une maison pour m'abriter, j'ai de quoi manger et boire,
j'ai toutes les commodités de l'existence, j'ai des habits, des bonnets
et une multitude d'agréments ; en vérité, la félicité la plus grande est mon partage ! »

               THIEN-CI-KHI, LETTRÉ CHINOIS.

Il est certains bourgeois, prêtres du dieu Boutique,
Plus voisins de Chrysès que de Caton d'Utique,
Mettant par-dessus tout la rente et le coupon,
Qui, voguant à la Bourse et tenant un harpon,
Honnêtes gens d'ailleurs, mais de la grosse espèce,
Acceptent Phalaris par amour pour leur caisse,
Et le taureau d'airain à cause du veau d'or.
Ils ont voté. Demain ils voteront encor.
Si quelque libre écrit entre leurs mains s'égare,
Les pieds sur les chenets et fumant son cigare,
Chacun de ces votants tout bas raisonne ainsi :
Ce livre est fort choquant. De quel droit celui-ci
Est-il généreux, ferme et fier, quand je suis lâche ?
En attaquant monsieur Bonaparte, on me fâche.
Je pense comme lui que c'est un gueux ; pourquoi
Le dit-il ? Soit, d'accord, Bonaparte est sans foi
Ni loi ; c'est un parjure, un brigand, un faussaire,
C'est vrai ; sa politique est armée en corsaire
Il a banni jusqu'à des juges suppléants ;
Il a coupé leur bourse aux princes d'Orléans
C'est le pire gredin qui soit sur cette terre ;
Mais puisque j'ai voté pour lui, l'on doit se taire.
Ecrire contre lui, c'est me blâmer au fond ;
C'est me dire : voilà comment les braves font
Et c'est une façon, à nous qui restons neutres,
De nous faire sentir que nous sommes des pleutres.
J'en conviens, nous avons une corde au poignet.
Que voulez-vous ? la Bourse allait mal ; on craignait
La république rouge, et même un peu la rose
Il fallait bien finir par faire quelque chose

On trouve ce coquin, on le fait empereur ;
C'est tout simple. On voulait éviter la terreur,
Le spectre de monsieur Romieu, la jacquerie
On s'est réfugié dans cette escroquerie.
Or, quand on dit du mal de ce gouvernement,
Je me sens chatouillé désagréablement.
Qu'on fouaille avec raison cet homme, c'est possible
Mais c'est m'insinuer à moi, bourgeois paisible
Qui fis ce scélérat empereur ou consul,
Que j'ai dit oui par peur et vivat par calcul.
Je trouve impertinent, parbleu, qu'on me le dise.
M'étant enseveli dans cette couardise,
Il me déplaît qu'on soit intrépide aujourd'hui,
Et je tiens pour affront le courage d'autrui. »

Penseurs, quand vous marquez au front l'homme punique
Qui de la loi sanglante arracha la tunique,
Quand vous vengez le peuple à la gorge saisi,
Le serment et le droit, vous êtes, songez-y,
Entre Sbogar qui règne et Géronte qui vote ;
Et votre plume ardente, anarchique, indévote,
Démagogique, impie, attente d'un côté
A ce crime ; de l'autre, à cette lâcheté.

                                    Novembre 1852. Jersey.

          VIII- Splendeurs

A présent que c'est fait, dans l'avilissement
Arrangeons-nous chacun notre compartiment
Marchons d'un air auguste et fier ; la honte est bue.
Que tout à composer cette cour contribue,
Tout, excepté l'honneur, tout, hormis les vertus.
Faites vivre, animez, envoyez vos foetus
Et vos nains monstrueux, bocaux d'anatomie
Donne ton crocodile et donne ta momie,
Vieille Egypte ; donnez, tapis-francs, vos filous ;
Shakespeare, ton Falstaff ; noires forêts, vos loups ;
Donne, ô bon Rabelais, ton Grandgousier qui mange ;
Donne ton diable, Hoffmann ; Veuillot, donne ton ange ;
Scapin, apporte-nous Géronte dans ton sac ;
Beaumarchais, prête-nous Bridoison ; que Balzac
Donne Vautrin ; Dumas, la Carconte ; Voltaire,
Son Frélon que l'argent fait parler et fait taire ;
Mabile, les beautés de ton jardin d'hiver ;
Le Sage, cède-nous Gil Blas ; que Gulliver
Donne tout Lilliput dont l'aigre est une mouche,
Et Scarron Bruscambille, et Callot Scaramouche.
Il nous faut un dévot dans ce tripot payen ;
Molière, donne-nous Montalembert. C'est bien,
L'ombre à l'horreur s'accouple, et le mauvais au pire.
Tacite, nous avons de quoi faire l'empire ;
Juvénal, nous avons de quoi faire un sénat.
        II
Ô Ducos le gascon, ô Rouher l'auvergnat,
Et vous, juifs, Fould Shylock, Sibour Iscariote,
Toi Parieu, toi Bertrand, horreur du patriote,
Bauchart, bourreau douceâtre et proscripteur plaintif,
Baroche, dont le nom n'est plus qu'un vomitif,
Ô valets solennels, ô majestueux fourbes,
Travaillant votre échine à produire des courbes,
Bas, hautains, ravissant les Daumiers enchantés
Par vos convexités et vos concavités,
Convenez avec moi, vous tous qu'ici je nomme,
Que Dieu dans sa sagesse a fait exprès cet homme
Pour régner sur la France, ou bien sur Haïti.
Et vous autres, créés pour grossir son parti,
Philosophes gênés de cuissons à l'épaule,
Et vous, viveurs râpés, frais sortis de la geôle,
Saluez l'être unique et providentiel,
Ce gouvernant tombé d'une trappe du ciel,
Ce césar moustachu, gardé par cent guérites,
Qui sait apprécier les gens et les mérites,
Et qui, prince admirable et grand homme en effet,
Fait Poissy sénateur et Clichy sous-préfet.
        III

Après quoi l'on ajuste au fait la théorie
« A bas les mots ! à bas loi, liberté, patrie !
Plus on s'aplatira, plus ou prospérera.
Jetons au feu tribune et presse, et cætera.

Depuis quatrevingt-neuf les nations sont ivres.
Les faiseurs de discours et les faiseurs de livres
Perdent tout ; le poëte est un fou dangereux ;
Le progrès ment, le ciel est vide, l'art est creux,
Le monde est mort. Le peuple ? un âne qui se cabre !
La force, c'est le droit. Courbons-nous. Gloire au sabre !
A bas les Washington ! vivent les Attila ! »
On a des gens d'esprit pour soutenir cela.

Oui, qu'ils viennent tous ceux qui n'ont ni coeur ni flamme,
Qui boitent de l'honneur et qui louchent de l'âme ;
Oui, leur soleil se lève et leur messie est né.
C'est décrété, c'est fait, c'est dit, c'est canonné
La France est mitraillée, escroquée et sauvée.

Le hibou Trahison pond gaîment sa couvée.

        IV
Et partout le néant prévaut ; pour déchirer
Notre histoire, nos lois, nos droits, pour dévorer
L'avenir de nos fils et les os de nos pères,
Les bêtes de la nuit sortent de leurs repaires
Sophistes et soudards resserrent leur réseau
Les Radetzky flairant le gibet du museau,
Les Giulay, poil tigré, les Buol, face verte,
Les Haynau, les Bomba, rôdent, la gueule ouverte,
Autour du genre humain qui, pâle et garrotté,
Lutte pour la justice et pour la vérité ;
Et de Paris à Pesth, du Tibre aux monts Carpathes,
Sur nos débris sanglants rampent ces mille-pattes.
        V
Du lourd dictionnaire où Beauzée et Batteux
Ont versé les trésors de leur bon sens goutteux,
Il faut, grâce aux vainqueurs, refaire chaque lettre.
Ame de l'homme, ils ont trouvé moyen de mettre
Sur tes vieilles laideurs un tas de mots nouveaux,
Leurs noms. L'hypocrisie aux yeux bas et dévots
A nom Menjaud, et vend Jésus dans sa chapelle ;
On a débaptisé la honte, elle s'appelle
Sibour ; la trahison, Maupas ; l'assassinat
Sous le nom de Magnan est membre du Sénat ;

Quant à la lâcheté, c'est Hardouin qu'on la nomme ;
Riancey, c'est le mensonge, il arrive de Rome
Et tient la vérité renfermée en son puits ;
La platitude a nom Montlaville-Chapuis ;
La prostitution, ingénue, est princesse ;
La férocité, c'est Carrelet ; la bassesse
Signe Rouher, avec Delangle pour greffier.
Ô muse, inscris ces noms. Veux-tu qualifier
La justice vénale, atroce, abjecte et fausse ?
Commence à Partarieu pour finir par Lafosse.
J'appelle Saint-Arnaud, le meurtre dit : c'est moi.
Et, pour tout compléter par le deuil et l'effroi,
Le vieux calendrier remplace sur sa carte
La Saint-Barthélemy par la Saint-Bonaparte.
Quant au peuple, il admire et vote ; on est suspect
D'en douter, et Paris écoute avec respect
Sibour et ses sermons, Trolong et ses troplongues.
Les deux Napoléon s'unissent en diphthongues,
Et Berger entrelace en un chiffre hardi
Le boulevard Montmartre entre Arcole et Lodi.
Spartacus agonise en un bagne fétide ;
On chasse Thémistocle, on expulse Aristide,
On jette Daniel dans la fosse aux lions ;
Et maintenant ouvrons le ventre aux millions !

                                    Jersey. Novembre 1852.

             IX- Joyeuse vie

Bien ! pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances !
Attablez-vous en hâte autour des jouissances !
Accourez ! place à tous !
Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide.
Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide,
Tout ce peuple est à vous !

Vendez l'état ! coupez les bois ! coupez les bourses !
Videz les réservoirs et tarissez les sources !
Les temps sont arrivés.
Prenez le dernier sou ! prenez, gais et faciles,
Aux travailleurs des champs, aux travailleurs des villes !
Prenez, riez, vivez !

Bombance ! allez ! c'est bien ! vivez ! faites ripaille !
La famille du pauvre expire sur la paille,
Sans porte ni volet.
Le père en frémissant va mendier dans l'ombre ;
La mère n'ayant plus de pain, dénûment sombre,
L'enfant n'a plus de lait.

        II
Millions ! millions ! châteaux ! liste civile !
Un jour je descendis dans les caves de Lille
Je vis ce morne enfer.
Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,
Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres
Dans son poignet de fer.

Sous ces voûtes on souffre, et l'air semble un toxique
L'aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique
L'eau coule à longs ruisseaux ;
Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,
Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante
S'infiltrer dans ses os.

Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;
L'oeil en ces souterrains où le malheur s'acharne
Sur vous, ô travailleurs,
Près du rouet qui tourne et du fil qu'on dévide,
Voit des larves errer dans la lueur livide
Du soupirail en pleurs.

Misère ! l'homme songe en regardant la femme.
Le père, autour de lui sentant l'angoisse infâme
Etreindre la vertu,
Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte,
Et n'ose, l'oeil fixé sur le pain qu'elle apporte,
Lui dire : D'où viens-tu ?

Là dort le désespoir sur son haillon sordide ;
Là, l'avril de la vie, ailleurs tiède et splendide,
Ressemble au sombre hiver ;
La vierge, rose au jour, dans l'ombre est violette ;
Là, rampent dans l'horreur la maigreur du squelette,
La nudité du ver ;

Là frissonnent, plus bas que les égouts des rues,
Familles de la vie et du jour disparues,
Des groupes grelottants ;
Là, quand j'entrai, farouche, aux méduses pareille,
Une petite fille à figure vieille
Me dit : J'ai dix-huit ans !

Là, n'ayant pas de lit, la mère malheureuse
Met ses petits enfants dans un trou qu'elle creuse,
Tremblants comme l'oiseau ;
Hélas ! ces innocents aux regards de colombe
Trouvent en arrivant sur la terre une tombe
En place d'un berceau !

Caves de Lille ! ou meurt sous vos plafonds de pierre !
J'ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière,
Râler l'aïeul flétri,
La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue,
Et l'enfant spectre au sein de la mère statue !
Ô Dante Alighieri !

C'est de ces douleurs-là que sortent vos richesses,
Princes ! ces dénûments nourrissent vos largesses,
Ô vainqueurs ! conquérants !
Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes
Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes,
Du coeur de ces mourants.

Sous ce rouage affreux qu'on nomme tyrannie,
Sous cette vis que meut le fisc, hideux génie,
De l'aube jusqu'au soir,
Sans trêve, nuit et jour, dans le siècle où nous sommes
Ainsi que des raisins on écrase des hommes,
Et l'or sort du pressoir.

C'est de cette détresse et de ces agonies,
De cette ombre, où jamais, dans les âmes ternies,
Espoir, tu ne vibras,
C'est de ces bouges noirs pleins d'angoisses amères,
C'est de ce sombre amas de pères et de mères
Qui se tordent les bras,

Oui, c'est de ce monceau d'indigences terribles
Que les lourds millions, étincelants, horribles,
Semant l'or en chemin,
Rampant vers les palais et les apothéoses,
Sortent, monstres joyeux et couronnés de roses,
Et teints de sang humain !

        III
Ô paradis ! splendeurs ! versez à boire aux maîtres !
L'orchestre rit, la fête empourpre les fenêtres,
La table éclate et luit ;
L'ombre est là sous leurs pieds ! les portes sont fermées
La prostitution des vierges affamées
Pleure dans cette nuit !

Vous tous qui partagez ces hideuses délices,
Soldats payés, tribuns vendus, juges complices,
Evêques effrontés,
La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes !
C'est de fièvre et de faim et de mort que sont faites
Toutes vos voluptés !

A Saint-Cloud, effeuillant jasmins et marguerites,
Quand s'ébat sous les fleurs l'essaim des favorites,
Bras nus et gorge au vent,
Dans le festin qu'égaie un lustre à mille branches,
Chacune, en souriant, dans ses belles dents blanches
Mange un enfant vivant !
Mais qu'importe ! riez ! Se plaindra-t-on sans cesse ?
Serait-on empereur, prélat, prince et princesse,
Pour ne pas s'amuser ?
Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire,
Doit être satisfait puisqu'il vous entend rire
Et qu'il vous voit danser !

Qu'importe ! Allons, emplis ton coffre, emplis ta poche.
Chantez, le verre en main, Troplong, Sibour, Baroche !
Ce tableau nous manquait.
Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre,
Et faites, au -dessus de l'immense misère,
Un immense banquet !

        IV

Ils marchent sur toi, peuple ! Ô barricade sombre,
Si haute hier, dressant dans les assauts sans nombre
Ton front de sang lavé,
Sous la roue emportée, étincelante et folle,
De leur coupé joyeux qui rayonne et qui vole,
Tu redeviens pavé !

A César ton argent, peuple ; à toi la famine.
N'es-tu pas le chien vil qu'on bat et qui chemine
Derrière son seigneur ?
A lui la pourpre ; à toi la hotte et les guenilles.
Peuple, à lui la beauté de ces femmes, tes filles,
A toi leur déshonneur !

        V
Ah ! quelqu'un parlera. La muse, c'est l'histoire.
Quelqu'un élèvera la voix dans la nuit noire.
Riez, bourreaux bouffons !
Quelqu'un te vengera, pauvre France abattue,
Ma mère ! et l'on verra la parole qui tue
Sortir des cieux profonds !

Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles races,
Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces,
Sans pitié, sans merci,
Vils, n'ayant pas de coeur, mais ayant deux visages,
Disent : - Bah ! le poëte ! il est dans les nuages ! -
Soit. Le tonnerre aussi.

                                    19 janvier 1853.

X- L'empereur s'amuse
               Chanson

Pour les bannis opiniâtres,
La France est loin, la tombe est près.
Prince, préside aux jeux folâtres,
Chasse aux femmes dans les théâtres,
Chasse aux chevreuils dans les forêts
Rome te brûle le cinname,
Les rois te disent : mon cousin. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Les us frappés sont les plus dignes.
Ou l'exil ! ou l'Afrique en feu !
Prince, Compiègne est plein de cygnes,
Cours dans les bois, cours dans les vignes,
Vénus rayonne au plafond bleu ;
La bacchante aux bras nus se pâme
Sous sa couronne de raisin. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Les forçats bâtissent le phare,
Traînant leurs fers au bord des flots !
Hallali ! hallali ! fanfare !
Le cor sonne, le bois s'effare,
La lune argente les bouleaux ;
A l'eau les chiens ! le cerf qui branle
Se perd dans l'ombre du bassin. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Le père est au bagne à Cayenne
Et les enfants meurent de faim.
Le loup verse à boire à l'hyène ;
L'homme à la mitre citoyenne
Trinque en son ciboire d'or fin ;
On voit luire les yeux de flamme
Des faunes dans l'antre voisin. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Les morts, au boulevard Montmartre,
Rôdent, montrant leur plaie au coeur.
Pâtés de Strasbourg et de Chartre,
Sous la table, un tapis de martre
Les belles boivent au vainqueur,
Et leur sourire offre leur âme,
Et leur corset offre leur sein. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Captifs, expirez dans les fièvres.
Vous allez donc vous reposer !
Dans le vieux saxe et le vieux sèvres
On soupe, on mange, et sur les lèvres
Éclôt le doux oiseau baiser ;
Et, tout en riant, chaque femme
En laisse fuir un fol essaim. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

La Guyane, cachot fournaise,
Tue aujourd'hui comme jadis.
Couche-toi, joyeux et plein d'aise,
Au lit où coucha Louis seize,
Puis l'empereur, puis Charles dix ;
Endors-toi, pendant qu'on t'acclame,
La tête sur leur traversin. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

Ô deuil ! par un bandit féroce
L'avenir est mort poignardé !
C'est aujourd'hui la grande noce,
Le fiancé monte en carrosse ;
C'est lui ! César le bien gardé !
Peuples, chantez l'épithalame !
La France épouse l'assassin. -
Sonne aujourd'hui le glas, bourdon de Notre-Dame,
Et demain le tocsin !

                                    25 janvier 1853.

                    XI

Sentiers où l'herbe se balance,
Vallons, coteaux, bois chevelus,
Pourquoi ce deuil et ce silence ?
- Celui qui venait ne vient plus.

- Pourquoi personne à ta fenêtre,
Et pourquoi ton jardin sans fleurs,.
Ô maison ? où donc est ton maître ?
- Je ne sais pas, il est ailleurs.

- Chien, veille au logis. - Pourquoi faire ?
La maison est vide à présent.
-Enfant, qui pleures-tu ?- Mon père.
-Femme, qui pleures-tu ? - L'absent.

- Où s'en est-il allé ? - Dans l'ombre.
- Flots qui gémissez sur l'écueil,
D'où venez-vous ? - Du bagne sombre.
- Et qu'apportez-vous ? Un cercueil.

                                    1er août 1853. Jersey.

                              XII

Ô Robert, un conseil. Ayez l'air moins candide.
Soyons homme d'esprit. Le moment est splendide,
Je le sais ; le quart d'heure est chatoyant, c'est vrai
Cette Californie est riche en minerai,
D'accord ; mais cependant quand un préfet, un maire,
Un évêque adorant le fils de votre mère,
Quand un Suin, un Parieu, payé pour sa ferveur,
Vous parlant en plein nez, vous appelle sauveur,
Vous promet l'avenir, atteste Fould et Magne,
Et vous fait coudoyer César et Charlemagne,
Mon cher, vous accueillez ces propos obligeants
D'un air de bonne foi qui prête à rire aux gens.
Vous avez l'oeil béat d'un bailli de province.
Par ces simplicités vous affligez, ô prince,
Napoléon, votre oncle, et moi, votre parrain.
Ne soyons pas Jocrisse ayant été Mandrin.
On vole un trône, on prend un peuple en une attrape,
Mais il est de bon goût d'en rire un peu sous cape
Et de cligner de l'oeil du côté des malins.
Etre sa propre dupe ! ah ! fi donc ! Verres pleins,
Poche pleine, et rions ! La France rampe et s'offre ;
Soyons un sage à qui Jupiter livre un coffre ;
Dépêchons-nous, pillons, régnons vite. - Mais quoi !
Le pape nous bénit ; czar, sultan, duc et roi
Sont nos cousins ; fonder un empire est facile
Il est doux d'être chef d'une race ! - Imbécile !
Te figures-tu donc que ceci durera ?
Prends-tu pour du granit ce décor d'opéra ?
Paris dompté ! par toi ! dans quelle apocalypse
Lit-on que le géant devant le nain s'éclipse?
Crois-tu donc qu'on va voir, gaîment, l'oeil impudent,
Ta fortune cynique écraser sous sa dent
La révolution que nos pères ont faite,
Ainsi qu'une guenon qui croque une noisette ?
Ote-toi de l'esprit ce rêve enchanteur. Crois
A Rose Tamisier faisant saigner la croix,
A l'âme de Baroche entrouvrant sa corolle,
Crois à l'honnêteté de Deutz, à ta parole,
C'est bien ; mais ne crois pas à ton succès ; il ment.
Rose Tamisier, Deutz, Baroche, ton serment,
C'est de l'or, j'en conviens ; ton sceptre est de l'argile.
Dieu, qui t'a mis au coche, écrit sur toi : fragile.

                                    29 mai 1853. Jersey.

                              XIII

L'histoire a pour égout des temps comme les nôtres,
Et c'est là que la table est mise pour vous autres.
C'est là, sur cette nappe où joyeux vous mangez,
Qu'on voit, - tandis qu'ailleurs, nus et de fers chargés,
Agonisent, sereins, calmes, le front sévère,
Socrate à l'agora, Jésus-Christ au calvaire,
Colomb dans son cachot, Jean Huss sur son bûcher,
Et que l'humanité pleure et n'ose approcher
Tous ces gibets où sont les justes et les sages, -
C'est là qu'on voit trôner dans la longueur des âges,
Parmi les vins, les luths, les viandes, les flambeaux,
Sur des coussins de pourpre oubliant les tombeaux,
Ouvrant et refermant leurs féroces mâchoires,
Ivres, heureux, affreux, la tête dans des gloires,
Tout le troupeau hideux des satrapes dorés ;
C'est là qu'on entend rire et chanter, entourés
De femmes couronnant de fleurs leurs turpitudes,
Dans leur lasciveté prenant mille attitudes,
Laissant peuples et chiens en bas ronger les os,
Tous les hommes requins, tous les hommes pourceaux,
Les princes de hasard plus fangeux que les rues,
Les goinfres courtisans, les altesses ventrues,
Toute gloutonnerie et toute abjection,
Depuis Cambacérès jusqu'à Trimalcion.

                                    4 février 1853.

XIV- A propos de la loi Faider

Ce qu'on appelle Charte ou Constitution,
C'est un antre qu'un peuple en révolution
Creuse dans le granit, abri sûr et fidèle.
Joyeux, le peuple enferme en cette citadelle
Ses conquêtes, ses droits, payés de tant d'efforts,
Ses progrès, son honneur ; pour garder ces trésors,
Il installe en la haute et superbe tanière
La fauve liberté, secouant sa crinière.
L'oeuvre faite, il s'apaise, il reprend ses travaux,
Il retourne à son champ, fier de ses droits nouveaux,
Et tranquille, il s'endort sur des dates célèbres,
Sans songer aux larrons rôdant dans les ténèbres.
Un beau matin, le peuple en s'éveillant va voir
Sa Constitution, temple de son pouvoir ;
Hélas ! de l'antre auguste on a fait une niche.
Il y mit un lion, il y trouve un caniche.

                                    10 décembre. Jersey.

XV- Le bord de la mer

La nuit vient. Vénus brille.
      L'ÉPÉE
                                         Harmodius, c'est l'heure !
      LA BORNE DU CHEMIN
Le tyran va passer.
      HARMODIUS
                                J'ai froid, rentrons.
      UN TOMBEAU
                                                         Demeure.
      HARMODIUS
Qu'es-tu ?
      LE TOMBEAU
           Je suis la tombe. - Exécute, ou péris.               
      UN NAVIRE A L'HORIZON
Je suis la tombe aussi, j'emporte les proscrits.
      L'ÉPÉE
Attendons le tyran.
      HARMODIUS
                          J'ai froid. Quel vent !
      LE VENT
                                                        Je passe.
Mon bruit est une voix. Je sème dans l'espace
Les cris des exilés, de misère expirants,
Qui sans pain, sans abri, sans amis, sans parents,
Meurent en regardant du côté de la Grèce.
      VOIX DANS L'AIR
Némésis ! Némésis ! lève-toi, vengeresse !
      L'ÉPÉE
C'est l'heure. Profitons de l'ombre qui descend.
      LA TERRE
Je suis pleine de morts.
      LA MER
                                     Je suis rouge de sang.
Les fleuves m'ont porté des cadavres sans nombre.
      LA TERRE
Les morts saignent pendant qu'on adore son ombre.
A chaque pas qu'il fait sous le clair firmament,
Je les sens s'agiter en moi confusément.
      UN FORÇAT
Je suis forçat, voici la chaîne que je porte,
Hélas ! pour n'avoir pas chassé loin de ma porte
Un proscrit qui fuyait, noble et pur citoyen.
      L'ÉPÉE
Ne frappe pas au coeur, tu ne trouverais rien.
      LA LOI
J'étais la loi, je suis un spectre. Il m'a tuée.
      LA JUSTICE
De moi, prêtresse, il fait une prostituée.
      LES OISEAUX
Il a retiré l'air des cieux, et nous fuyons.
      LA LIBERTÉ
Je m'enfuis avec eux ; - ô terre sans rayons,
Grèce, adieu !
      UN VOLEUR
                  Ce tyran, nous l'aimons. Car ce maître
Que respecte le juge et qu'admire le prêtre,
Qu'on accueille partout de cris encourageants,
Est plus pareil à nous qu'à vous, honnêtes gens.
      LE SERMENT
Dieux puissants ! à jamais fermez toutes les bouches !
La confiance est morte au fond des coeurs farouches.
Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez !
Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportez
L'honneur et la vertu, cette sombre chimère !
      LA PATRIE
Mon fils, je suis aux fers ! Mon fils, je suis ta mère !
Je tends les bras vers toi du fond de ma prison.
      HARMODIUS
Quoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison !
Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne !
Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne,
En présence de l'ombre et de l'immensité !
      LA CONSCIENCE
Tu peux tuer cet homme avec tranquillité.

                                    Jersey, 25 octobre.

               XVI- NON

Laissons le glaive à Rome et le stylet à Sparte.
Ne faisons pas saisir, trop pressés de punir,
Par le spectre Brutus le brigand Bonaparte.
Gardons ce misérable au sinistre avenir.
Vous serez satisfaits, je vous le certifie,
Bannis, qui de l'exil portez le triste faix,
Captifs, proscrits, martyrs qu'il foule et qu'il défie,
Vous tous qui frémissez, vous serez satisfaits.
Jamais au criminel son crime ne pardonne ;
Mais gardez, croyez-moi, la vengeance au fourreau
Attendez ; ayez foi dans les ordres que donne
Dieu, juge patient, au temps, tardif bourreau !
Laissons vivre le traître en sa honte insondable.
Ce sang humilierait même le vil couteau.
Laissons venir le temps, l'inconnu formidable
Qui tient le châtiment caché sous son manteau.
Qu'il soit le couronné parce qu'il est le pire ;
Le maître des fronts plats et des coeurs abrutis
Que son sénat décerne à sa race l'empire,
S'il trouve une femelle et s'il a des petits
Qu'il règne par la messe et par la pertuisane ;
Qu'on le fasse empereur dans son flagrant délit ;
Que l'église en rampant, que cette courtisane
Se glisse dans son antre et couche dans son lit
Qu'il soit cher à Troplong, que Sibour le vénère,
Qu'il leur donne son pied tout sanglant à baiser,
Qu'il vive, ce césar ! Louvel ou Lacenaire
Seraient pour le tuer forcés de se baisser.
Ne tuez pas cet homme, ô vous, songeurs sévères,
Rêveurs mystérieux, solitaires et forts,
Qui, pendant qu'on le fête et qu'il choque les verres,
Marchez, le poing crispé, dans l'herbe où sont les morts !
Avec l'aide d'en haut toujours nous triomphâmes.
L'exemple froid vaut mieux qu'un éclair de fureur.
Non, ne le tuez pas. Les piloris infâmes
Ont besoin d'être ornés parfois d'un empereur.

                                    12 novembre. Jersey.

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