23 poèmes de Philippe Desportes
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  1. Vous n'aimez rien que vous...
  2. Quand je pouvais me plaindre...
  3. Que vous m'allez tourmentant
  4. Le tens leger s'enfuit...
  5. Rosette, pour un peu d'absence
  6. Si la foi plus certaine...
  7. Ô mon coeur plein d'ennuis...
  8. Je croy que tout mon lict...
  9. Ceux qui liront ces vers...
  10. Hélas ! si tu prens garde...
  11. Sommeil, paisible fils...
  12. Chanson «Las ! que nous sommes misérables»
  13. Chanson «Ô bien heureux qui peut passer sa vie»
  14. Ma nef passe au destroit d'une mer courroucée
  15. Prière au sommeil
  16. Las ! je ne verray plus ces soleils gracieux...
  17. Icare est cheut icy, le jeune audacieux...
  18. A pas lents et tardifs tout seul je me promène,...
  19. Contre une nuit trop claire
  20. Nuict, mère des soucis...
  21. Epigramme «Je t'apporte, ô sommeil...»
  22. Villanelle «Rozette, pour un peu d'absence»
  23. Chanson «O bien heureux qui peut passer sa vie»

Vous n'aimez rien que vous, de vous-même maîtresse,
Toute perfection en vous seule admirant,
En vous votre désir commence et va mourant,
Et l'amour seulement pour vous-même vous blesse.

Franche et libre de soin, votre belle jeunesse
D'un oeil cruel et beau mainte flamme tirant,
Brûle cent mille esprits qui votre aide implorant
N'éprouvent que fierté, mépris, haine et rudesse.

De n'aimer que vous-même est en votre pouvoir,
Mais il n'est pas en vous de m'empêcher d'avoir
Votre image en l'esprit, l'aimer d'amour extrême ;

Or l'Amour me rend vôtre, et si vous ne m'aimez,
Puisque je suis à vous, à tort vous présumez,
Orgueilleuse beauté, de vous aimer vous-même.

Quand je pouvais me plaindre en l'amoureux tourment,
Donnant air à la flamme en ma poitrine enclose,
Je vivais trop heureux ; las ! maintenant je n'ose
Alléger ma douleur d'un soupir seulement.

C'est me poursuivre, Amour, trop rigoureusement !
J'aime, et je suis contraint de feindre une autre chose,
Au fort de mes travaux je dis que je repose,
Et montre en mes ennuis un vrai contentement.

Ô supplice muet, que ta force est terrible !
Mais je me plains à tort de ma gêne invisible,
Vu qu'un si beau désir fait naître mes douleurs.

Puis j'ai ce réconfort en mon cruel martyre
Que j'écris toute nuit ce que je n'ose dire,
Et quand l'encre me faut je me sers de mes pleurs.

Que vous m'allez tourmentant
De m'estimer infidèle !
Non, vous n'êtes point plus belle
Que je suis ferme et constant.

Pour bien voir quelle est ma foi,
Regardez-moi dans votre âme :
C'est comme j'en fais, Madame ;
Dans la mienne je vous vois.

Si vous pensez me changer,
Ce miroir me le rapporte ;
Voyez donc, de même sorte,
En vous, si je suis léger.

Pour vous, sans plus, je fus né,
Mon coeur n'en peut aimer d'autre :
Las ! si je ne suis plus vôtre,
A qui m'avez-vous donné?

Le tens leger s'enfuit sans m'en apercevoir,
Quand celle à qui je suis mes angoisses console :
Il n'est vieil, n'y boiteux, c'est un enfant qui vole,
Au moins quand quelque bien vient mon mal deçevoir.

À peine ai-je loisir seulement de la voir
Et de ravir mon ame en sa douce parole,
Que la nuict à grands pas se haste et me la volle,
M'ostant toute clarte, toute ame et tout pouvoir.

Bien-heureux quatre jours, mais quatre heures soudaines ?
Que n'avez-vous duré pour le bien de mes paines ?
Et pourquoy vostre cours s'est-il tant avancé ?

Plus la joie est extrême et plus elle est fuitive ;
Mais j'en garde pourtant la memoire si vive,
Que mon plaisir perdu n'est pas du tout passé.

Rosette, pour un peu d'absence,
Votre coeur vous avez changé,
Et moi, sachant cette inconstance,
Le mien autre part j'ai rangé :
Jamais plus, beauté si légère
Sur moi tant de pouvoir n'aura
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.

Tandis qu'en pleurs je me consume,
Maudissant cet éloignement,
Vous qui n'aimez que par coutume,
Caressiez un nouvel amant.
Jamais légère girouette
Au vent si tôt ne se vira :
Nous verrons, bergère Rosette.
Qui premier s'en repentira.

Où sont tant de promesses saintes,
Tant de pleurs versés en partant ?
Est-il vrai que ces tristes plaintes
Sortissent d'un coeur inconstant ?
Dieux ! que vous êtes mensongère !
Maudit soit qui plus vous croira !
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.

Celui qui a gagné ma place
Ne vous peut aimer tant que moi ;
Et celle que j'aime vous passe
De beauté, d'amour et de foi.
Gardez bien votre amitié neuve,
La mienne plus ne variera,
Et puis, nous verrons à l'épreuve
Qui premier s'en repentira.

Si la foi plus certaine en une âme non feinte,
Un honnête désir, un doux languissement,
Une erreur variable et sentir vivement,
Avec peur d'en guérir, une profonde atteinte ;

Si voir une pensée au front toute dépeinte,
Une voix empêchée, un morne étonnement,
De honte ou de frayeur naissant soudainement,
Une pâle couleur de lis et d'amour teinte :

Bref, si se mépriser pour une autre adorer,
Si verser mille pleurs, si toujours soupirer,
Faisant de sa douleur nourriture et breuvage,

Si de loin se voir flamme, et de près tout transi,
Sont cause que je meurs par défaut de merci,
L'offense en est sur vous, et sur moi le dommage.

Ô mon coeur plein d'ennuis, que trop pront j'arraché,
Pour immoler à une, helas qui n'en fait conte !
Ô mes vers douloureux, les courriers de ma honte
Dont le cruel Amour ne fut jamais touché !

Ô mon teint palissant, devant l'âge seiché
Par la froide rigueur de celle qui me donte !
Ô desirs trop ardans d'une jeunesse pronte !
Ô mes yeux dont sans cesse un fleuve est espanché !

Ô pensers trop pensez, qui rebellez mon ame !
Ô debile raison! ô laqs ! ô traits ! ô flame
Qu'Amour tient en ses yeux trop beaux pour mon malheur !

Ô douteux esperer ! ô douleur trop certaine !
Ô soupirs embrasez, tesmoins de ma chaleur !
Viendra jamais le jour qui doit finir ma peine ?

Je croy que tout mon lict de chardons est semé !
Qu'il est rude et malfait. Hé ! Dieu suis-je si tendre
Que je n'y puis durer ? je ne fay que m'estendre,
Et ne sens point venir le Somme accoustumé.

Il est apres my-nuict, je n'ay pas l'oeil fermé,
Et mes membres lassez repos ne peuvent prendre.
Sus Phebus, leve-toy ! ne te fay plus attendre.
Et de tes clairs regards rens le ciel allumé.

Que la nuict m'importune, et m'est dure et contraire !
Mais pourtant c'est en vain, ô Phebus, que j'espere
D'avoir plus de clairté par ton nouveau retour :

Car je seray couvert d'une effroyable nue,
Tant qu'un plus beau soleil, qui me cache sa veuë,
Vienne luire à Paris et m'apporte le jour.

Ceux qui liront ces vers qu'en pleurant j'ay chantez,
Non pour gloire ou plaisir, ains forcé du martire,
Voyans par quels destroits Amour m'a sçeu conduire,
Sages à mes dépens, fuiront ses cruautez.

Quels esprits malheureux, nuict et jour tourmentez,
Souffrent un mal si grand que le mien ne soit pire ?
Il ne se peut penser, comment le veux-je dire,
Ou peindre en du papier si grandes nouveautez ?

Je cherchois obstiné des glaçons en la flamme,
Foiblesse au diamant, constance en une femme,
Pitié dans les enfers, le soleil en la nuit.

J'ay joué tout mon âge à ce vain exercice,
J'ay recueilly des pleurs et semé du service,
Et de mes longs travaux repentance est le fruit.

Hélas ! si tu prens garde aux erreurs que j'ay faites,
Je l'advouë, ô Seigneur ! mon martyre est bien doux :
Mais, si le sang de Christ a satisfait pour nous,
Tu decoches sur moi trop d'ardentes sagettes.

Que me demandes-tu ? mes oeuvres imparfaites,
Au lieu de t'adoucir, aigriront ton courroux ;
Soy-moy donc pitoyable, ô Dieu ! père de tous,
Car où pourray-je aller si plus tu me rejettes ?

D'esprit triste et confus, de misere accablé,
En horreur à moy-mesme, angoisses et troublé,
Je me jette à tes piés ; soy-moy doux et propice !

Ne tourne point les yeux sur mes actes pervers,
Ou, si tu les veux voir, voy-les teins et couvers
Du beau sang de ton fils, ma grace et ma justice.

Sommeil, paisible fils de la Nuit solitaire,
Père alme, nourricier de tous les animaux,
Enchanteur gracieux, doux oubli de nos maux,
Et des esprits blessés l'appareil salutaire :

Dieu favorable à tous, pourquoi m'es-tu contraire ?
Pourquoi suis-je tout seul rechargé de travaux,
Or que l'humide nuit guide ses noirs chevaux,
Et que chacun jouit de ta grâce ordinaire ?

Ton silence où est-il ? ton repos et ta paix,
Et ces songes volant comme un nuage épais,
Qui des ondes d'Oubli vont lavant nos pensées ?

O frère de la Mort, que tu m'es ennemi !
Je t'invoque au secours, mais tu es endormi,
Et j'ards, toujours veillant, en tes horreurs glacées.

           Chanson

Las ! que nous sommes misérables
D'estre serves dessous les loix
Des hommes legers et muables
Plus que le feuillage des bois !

Les pensers des hommes ressemblent
A l'air, aux vens et aux saisons,
Et aux girouettes qui tremblent
Inconstamment sur les maisons.

Leur amour est ferme et constante
Comme la mer grosse de flots,
Qui bruit, qui court, qui se tourmente,
Et jamais n'arreste en repos. ...

               Chanson

Ô bien heureux qui peut passer sa vie
Entre les siens franc de haine et d'envie,
Parmi les champs, les forêts et les bois,
Loin du tumulte et du bruit populaire,
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux passions des princes et des rois !

Il n'a souci d'une chose incertaine;
Il ne se plaît d'une espérance vaine ;
Nulle faveur ne le va décevant,
De cent fureurs il n'a l'âme embrasée
Et ne maudit sa jeunesse abusée
Quand il ne trouve à la fin que du vent.

Il ne frémit quand la mer courroucée
Entre ses flots contrairement poussée
Des vents émus soufflant, horriblement,
Et quand la nuit à son aise il sommeille
Une trompette en sursaut ne l'éveille
Pour l'envoyer du lit au monument.

L'ambition son courage n'attise ;
D'un fard trompeur son âme ne déguise ;
Il ne se plaît à violer sa foi ;
Des grands seigneurs l'oreille il n'importune ;
Mais, en vivant content de sa fortune,
Il est sa cour, sa faveur et son roi.

Je vous rends grâce, ô déités sacrées
Des monts, des eaux, des forêts et des prées,
Qui me privez de pensers soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin ma misérable attente
Et les désirs des coeurs ambitieux.

Dedans mes champs ma pensée est enclose;
Si mon corps dort, mon esprit se repose,
Un soin cruel ne le va dévorant.
Au plus matin la fraîcheur me soulage ;
S'il fait trop chaud je me mets à l'ombrage,
Et s'il fait froid je m'échauffe en courant.

Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe, aux voûtes peinturées
D'azur, d'émail et de mille couleurs,
Mon oeil se plat des trésors de la plaine
Riche d'oeillets, de lis, de marjolaine
Et du beau teint des printanières fleurs.

Dans les palais enflés de vaine pompe,
L'ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucis logent communément;
Dedans nos champs se retirent les fées,
Reines des bois à tresses décoiffées,
Les jeux, l'amour et le contentement.

Ainsi vivant, rien n'est qui ne m'agrée :
J'ois des oiseaux la musique sacrée,
Quand au matin ils bénissent les cieux,
Et le doux son des bruyantes fontaines
Qui vont coulant de ces roches hautaines
Pour arroser nos prés délicieux.

Que de plaisir de voir deux colombelles,
Bec contre bec, en trémoussant des ailes,
Mille baisers se donner tour à tour,
Puis, tout ravi de leur grâce naïve,
Dormir au frais d'une source d'eau vive,
Dont le doux bruit semble parler d'amour !

Que de plaisir de voir sous la nuit brune,
Quand le soleil a fait place à la lune,
Au fond des bois les nymphes s'assembler,
Montrer au vent leur gorge découverte,
Danser, sauter, se donner cotte-verte,
Et sous leurs pas tout l'herbage trembler !

Le bal fini je dresse en haut la vue,
Pour voir le teint de la lune cornue,
Claire, argentee, et me mets à penser
Au sort heureux du pasteur de Latmie;
Lors je souhaite une aussi belle amie,
Mais je voudrais en veillant l'embrasser.

Ainsi la nuit je contente mon âme,
Puis quand Phébus de ses rais nous enflamme
J'essaye encor mille autres jeux nouveaux ;
Diversement mes plaisirs j'entrelace,
Ores je pêche, or' je vais à la chasse,
Et or' je dresse embuscade aux oiseaux.

Je fais l'amour mais c'est de telle sorte
Que seulement du plaisir j'en rapporte,
N'engageant point ma chère liberté ;
Et quelques lacs que ce dieu puisse faire
Pour m'attraper, quand je m'en veux distraire,
J'ai le pouvoir comme la liberté.

Douces brebis, mes fidèles compagnes,
Haies, buissons, forêts, prés et montagnes,
Soyez témoins de mon contentement !
Et vous, ô dieux, faites, je vous supplie,
Que cependant que durera ma vie
Je ne connaisse un autre changement.

                        
(Bergeries)

Ma nef passe au destroit d'une mer couroucée,
Toute comble d'oubly, l'hiver à la minuict;
Un aveugle, un enfant, sans soucy la conduit,
Desireux de la voir sous les eaux renversée.

Elle a pour chaque rame une longue pensée
Coupant, au lieu de l'eau, l'espérance qui fuit;
Les vents de mes soupirs, effroyables de bruit,
Ont arraché la voile à leur plaisir poussée.

De pleurs une grand'pluie, et l'humide nuage
Des dedains orageux, detendent le cordage;
Retors des propres mains d'ignorance et d'erreur.

De mes astres luisants la flame est retirée,
L'art est vaincu du tens, du bruit et de l'horreur.
Las ! puis-je donc rien voir que ma perte asseurée ?

                        
(Livre de Diane, I)

Prière au sommeil

Somme, doux repos de nos yeux.
Aimé des hommes et des dieux,
Fils de la Nuit et du Silence,
Qui peux les esprits délier,
Qui fais les soucis oublier,
Endormant toute violence.

Approche, ô Sommeil désiré !
Las ! c'est trop longtemps demeuré :
La nuit est à demi passée,
Et je suis encore attendant
Que tu chasses le soin mordant,
Hôte importum de ma pensée.

Clos mes yeux, fais-moi sommeiller,
Je t'attends sur mon oreiller,
Où je tiens la tête appuyée :
Je suis dans mon lit sans mouvoir,
Pour mieux ta douceur recevoir,
Douceur dont la peine est noyée.

Hâte-toi, Sommeil, de venir :
Mais qui te peut tant retenir ?
Rien en ce lieu ne te retarde,
Le chien n'aboie ici autour,
Le coq n'annonce point le jour,
On n'entend point l'oie criarde.

Un petit ruisseau doux-coulant
A dos rompu se va roulant,
Qui t'invite de son murmure,
Et l'obscurité de la nuit,
Moite, sans chaleur et sans bruit,
Propre au repos de la nature.

Chacun hors que moi seulement,
Sent ore quelque allégement
Par le doux effort de tes charmes :
Tous les animaux travaillés
Ont les yeux fermés et sillés,
Seuls les miens sont ouverts aux larmes.

Si tu peux, selon ton désir,
Combler un homme de plaisir
Au fort d'une extrême tristesse,
Pour montrer quel est ton pouvoir,
Fais-moi quelque plaisir avoir
Durant la douleur qui m'oppresse.

Si tu peux nous représenter
Le bien qui nous peut contenter,
Séparé de longue distance,
Ô somme doux et gracieux !
Représente encore à mes yeux
Celle dont je pleure l'absence.

Que je voie encor ces soleils,
Ce lis et ces boutons vermeils,
Ce port plein de majesté sainte ;
Que j'entr'oie encor ces propos,
Qui tenaient mon coeur en repos,
Ravi de merveille et de crainte.

Le bien de la voir tous les jours
Autrefois était le secours
De mes nuits, alors trop heureuses ;
Maintenant que j'en suis absent,
Rends-moi par un songe plaisant
Tant de délices amoureuses.

Si tous les songes ne sont rien,
C'est tout un, ils me plaisent bien :
J'aime une telle tromperie.
Hâte-toi donc, pour mon confort;
On te dit frère de la Mort,
Tu seras père de ma vie.

Mais, las ! je te vais appelant,
Tandis la nuit en s'envolant
Fait place à l'aurore vermeille :
O Amour ! tyran de mon coeur,
C'est toi seul qui par ta rigueur
Empêches que je ne sommeille.

Hé ! quelle étrange cruauté !
Je t'ai donné ma liberté,
Mon coeur, ma vie, et ma lumière,
Et tu ne veux pas seulement
Me donner pour allégement
Une pauvre nuit tout entière ?

Las ! je ne verray plus ces soleils gracieux,
Qui servoient de lumiere à mon ame egarée !
Leur divine clairté s'est de moy retirée
Et me laisse esperdu, dolent et soucieux.

C'est en vain désormais, ô grand flambeau des cieux !
Que tu sors au matin de la plaine azurée,
Ma nuict dure tousjours, et la tresse dorée,
Qui sert de jour au monde est obscure à mes yeux.

Mes yeux, helas ! mes yeux, sources de mon dommage,
Vous n'aurez plus de guide en l'amoureux voyage,
Perdant l'astre luisant qui souloit m'esclairer.

Mais, si je ne vois plus sa clairté coustumiere,
Je ne veux pas pourtant en chemin demeurer :
Car du feu de mon coeur je ferai ma lumiere.

                        
(Livre de Diane, II)

Icare est cheut icy, le jeune audacieux,
Qui pour voler au ciel eut assez de courage :
Icy tomba son corps degarny de plumage,
Laissant tous braves coeurs de sa cheute envieux.

Ô bien-heureux travail d'un esprit glorieux,
Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage !
O bien-heureux malheur, plein de tant d'avantage
Qu'il rende le vaincu des ans victorieux !

Un chemin si nouveau n'estonna sa jeunesse,
Le pouvoir lui faillit, mais non la hardiesse :
Il eut, pour le brûler, des astres le plus beau.

Il mourut poursuivant une haute advanture,
Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture :
Est-il plus beau dessein, ou plus riche tombeau ?

                        
(Les Amours d'Hippolyte, I)

A pas lents et tardifs tout seul je me promène
Et mesure en rêvant les plus sauvages lieux ;
Et pour n'être aperçu, je choisis de mes yeux
Les endroits non frayés d'aucune trace humaine.

Je n'ai que ce rempart pour défendre ma peine,
Et cacher mon désir aux esprits curieux
Qui, voyant par dehors mes soupirs furieux,
Jugent combien dedans ma flamme est inhumaine.

Il n'y a désormais ni rivière ni bois,
Plaine, mont ou rocher, qui n'ait su par ma voix,
La trempe de ma vie à toute autre célée.

Mais j'ai beau me cacher je ne puis me sauver
En désert si sauvage ou si basse vallée
Qu'amour ne me découvre et me vienne trouver.

Contre une nuit trop claire

Ô Nuit ! jalouse Nuit, contre moi conjurée,
Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté,
T'ai-je donc aujourd'hui tant de fois désirée
Pour être si contraire à ma félicité ?

Pauvre moi ! je pensais qu'à ta brune rencontre
Les cieux d'un noir bandeau dussent être voiles
Mais, comme un jour d'été, claire tu fais ta montre,
Semant parmi le ciel mille feux étoilés.

Et toi, soeur d'Apollon, vagabonde courrière,
Qui pour me découvrir flambes si clairement,
Allumes-tu la nuit d'aussi grande lumière,
Quand sans bruit tu descends pour baiser ton amant ?

Hélas! s'il t'en souvient, amoureuse déesse,
Et si quelque douceur se cueille en le baisant,
Maintenant que je sors pour baiser ma maîtresse,
Que l'argent de ton front ne soit pas si luisant.

Ah ! la fable a menti, les amoureuses flammes
N'échauffèrent jamais ta froide humidité;
Mais Pan, qui te connut du naturel des femmes,
T'offrant une toison, vainquit ta chasteté.

Si tu avais aimé, comme on nous fait entendre,
Les beaux yeux d'un berger, de long sommeil touchés,
Durant tes chauds désirs tu aurais pu apprendre
Que les larcins d'amour veulent être cachés.

Mais flamboie à ton gré, que ta corne argentée
Fasse de plus en plus ses rais étinceler :
Tu as beau découvrir, ta lumière empruntée
Mes amoureux secrets ne pourra déceler.

Que de fâcheuses gens, mon Dieu ! quelle coutume
De demeurer si tard dans la rue à causer !
Otez-vous du serein, craignez-vous point le rhume ?
La nuit s'en va passée, allez vous reposer.

Je vais, je viens, je fuis, j'écoute et me promène,
Tournant toujours mes yeux vers le lieu désiré ;
Mais je n'avance rien, toute la rue est pleine
De jaloux importuns, dont je suis éclairé.

Je voudrais être roi pour faire une ordonnance
Que chacun dût la nuit au logis se tenir,
Sans plus les amoureux auraient toute licence;
Si quelque autre faillait, je le ferais punir.

Ô somme ! ô doux repos des travaux ordinaires,
Charmant par ta douceur les pensers ennemis,
Charme ces yeux d'Argus, qui me sont si contraires
Et retardent mon bien, faute d'être endormis.

Mais je perds, malheureux, le temps et la parole,
Le somme est assommé d'un dormir ocieux
Puis durant mes regrets, la nuit prompte s'envole,
Et l'aurore déjà veut défermer les cieux.

Je m'en vais pour entrer, que rien ne me retarde,
Je veux de mon manteau mon visage boucher ;
Mais las ! je m'aperçois que chacun me regarde,
Sans être découvert, je ne puis approcher.

Je ne crains pas pour moi ; j'ouvrirais une armée,
Pour entrer au séjour qui récèle mon bien;
Mais je crains que ma dame en pût être blâmée,
Son repos, mille fois m'est plus cher que le mien.

Quoi ? m'en irai-je donc ? mais que voudrais-je faire ?
Aussi bien peu à peu le jour s'en va levant,
Ô trompeuse espérance ! Heureux cil qui n'espère
Autre loyer d'amour que mal en bien servant !

Nuict, mere des soucis, cruelle aux affligez,
Qui fait que la douleur plus poignante est sentie,
Pource que l'ame alors n'estant point divertie,
Se donne toute en proie aux pensers enragez.

Autre-fois mes travaux tu rendois soulagez,
Et ma jeune fureur sous ton ombre amortie ;
Mais, hélas ! ta faveur s'est de moy departie,
Je sens tous tes pavots en espines changez.

Je ne sçay plus que c'est du repos que tu donnes ;
La douleur et l'ennuy de cent pointes felonnes
M'ouvrent l'ame et les yeux, en ruisseaux transformez.

Apporte, ô douce nuict ! un sommeil à ma vie,
Qui de fers si pesans pour jamais la deslie
Et d'un voile éternel mes yeux tienne fermez.

                        
(Cléonice)

                  Epigramme

Je t'apporte, ô sommeil, du vin de quatre années
Du lait, des pavots noirs aux têtes couronnées ;
Veuille tes ailerons en ce lieu déployer,
Tant qu'Alison, la vieille accroupie au foyer,
Qui d'un pouce retors et d'une dent mouillée,
Sa quenouille chargée a quasi dépouillée,
Laisse choir le fuseau, cesse de babiller,
Et de toute la nuit ne se puisse éveiller ;
Afin qu'à mon plaisir j'embrasse ma rebelle,
L'amoureuse Isabeau qui soupire auprès d'elle.

                        
(Epigrammes)

           Villanelle

Rozette, pour un peu d'absence
Vostre coeur vous avez changé,
Et moy, scachant cette inconstance,
Le mien autre part j'ay rangé:
Jamais plus, beauté si legere
Sur moy tant de pouvoir n'aura:
Nous verrons, volage bergere,
Qui premier s'en repentira.

Tandis qu'en pleurs je me consume,
Maudissant cet esloignement,
Vous, qui n'aimez que par coustume,
Caressiez un nouvel amant.
Jamais legere girouëtte
Au vent si tost ne se vira:
Nous verrons, bergere Rozette,
Qui premier s'en repentira.

Où sont tant de promesses saintes,
Tant de pleurs versez en partant?
Est il vray que ces tristes plaintes
Sortissent d'un coeur inconstant?
Dieux! que vous estes mensongere!
Maudit soit qui plus vous croira!
Nous verrons, volage bergere,
Qui premier s'en repentira.

Celuy qui a gaigné ma place
Ne vous peut aymer tant que moy,
Et celle que j'aime vous passe
De beauté, d'amour et de foy.
Gardez bien vostre amitié neufve,
La mienne plus ne varira,
Et puis, nous verrons à l'espreuve
Qui premier s'en repentira.

                  Chanson

O bien heureux qui peut passer sa vie
Entre les siens, franc de haine et d'envie,
Parmy les champs, les forests et les bois,
Loin du tumulte et du bruit populaire;
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux passions des princes et des rois!

Il n'a soucy d'une chose incertaine,
Il ne se paist d'une esperance vaine,
Nulle faveur ne le va decevant;
De cent fureurs il n'a l'ame embrasée
Et ne maudit sa jeunesse abusée,
Quand il ne trouve à la fin que du vent.

Il ne fremist quand la mer courroucée
Enfle ses flots, contrairement poussée
Des vens esmeus soufflans horriblement;
Et quand la nuict à son aise il sommeille,
Une trompette en sursaut ne l'esveille
Pour l'envoyer du lict au monument.

L'ambition son courage n'attise,
D'un fard trompeur son ame il ne desguise,
Il ne se plaist à violer sa foy;
Des grands seigneurs l'oreille il n'importune,
Mais en vivant content de sa fortune
Il est sa cour, sa faveur, et son roy.

Je vous rens grace, ô deitez sacrées
Des monts, des eaux, des forests et des prées,
Qui me privez de pensers soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin la miserable attente,
Et les desirs des coeurs ambitieux!

Dedans mes champs ma pensée est enclose.
Si mon corps dort mon esprit se repose,
Un soin cruel ne le va devorant:
Au plus matin, la fraischeur me soulage,
S'il fait trop chaud, je me mets à l'ombrage,
Et s'il fait froid, je m'eschauffe en courant.

Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe, aux voûtes peinturées
D'azur, d'esmail, et de mille couleurs,
Mon oeil se paist des tresors de la plaine
Riche d'oeillets, de lis, de marjolaine,
Et du beau teint des printanieres fleurs.

Dans les palais enflez de vaine pompe,
L'ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucys logent communement:
Dedans nos champs se retirent les fées,
Roines des bois à tresses decoiffées,
Les jeux, l'amour, et le contentement.

Ainsi vivant, rien n'est qui ne m'agrée.
J'oy des oiseaux la musique sacrée,
Quand, au matin, ils benissent les cieux;
Et le doux son des bruyantes fontaines
Qui vont, coulant de ces roches hautaines,
Pour arrouser nos prez delicieux.

Que de plaisir de voir deux colombelles,
Bec contre bec, en tremoussant des ailes,
Mille baisers se donner tour à tour;
Puis, tout ravy de leur grace naïve,
Dormir au frais d'une source d'eau vive,
Dont le doux bruit semble parler d'amour!

Que de plaisir de voir sous la nuict brune,
Quand le soleil a fait place à la lune,
Au fond des bois les nymphes s'assembler,
Monstrer au vent leur gorge découverte,
Danser, sauter, se donner cotte-verte,
Et sous leur pas tout l'herbage trembler.

Le bal finy, je dresse en haut la veuë
Pour voir le teint de la lune cornuë,
Claire, argentée, et me mets à penser
Au sort heureux du pasteur de Latmie:
Lors je souhaite une aussi belle amie,
Mais je voudrois, en veillant, l'embrasser.

Ainsi, la nuict, je contente mon ame,
Puis, quand Phebus de ses rays nous enflame,
J'essaye encor mille autres jeux nouveaux:
Diversement mes plaisirs j'entrelasse,
Ores je pesche, or' je vay à la chasse,
Et or' je dresse embuscade aux oyseaux.

Je fay l'amour, mais c'est de telle sorte
Que seulement du plaisir j'en rapporte,
N'engageant point ma chere liberté:
Et quelques laqs que ce dieu puisse faire
Pour m'attraper, quand je m'en veux distraire,
J'ay le pouvoir comme la volonté.

Douces brebis, mes fidelles compagnes,
Hayes, buissons, forests, prez et montagnes,
Soyez témoins de mon contentement:
Et vous, ô dieux! faites, je vous supplie,
Que, cependant que durera ma vie,
Je ne connoisse un autre changement.

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