Virgiliennes  -  Emile Nelligan
  Retour au menu
  1. Automne
  2. Nuit d'été
  3. Rêve de Watteau
  4. Tarentelle d'automne
  5. Presque berger
  6. Jardin sentimental
  7. Les petits oiseaux
  8. Violons de villanelle
  9. Bergère

                    Automne

Comme la lande est riche aux heures empourprées,
Quand les cadrans du ciel ont sonné les vesprées !

Quels longs effeuillements d'angélus par les chênes !
Quels suaves appels des chapelles prochaines !

Là-bas, groupes meuglants de grands boeufs aux yeux glauques
Vont menés par des gars aux bruyants soliloques.

La poussière déferle en avalanches grises
Pleines du chaud relent des vignes et des brises.

Un silence a plu dans les solitudes proches :
Des Sylphes ont cueilli le parfum mort des cloches.

Quelle mélancolie ! Octobre, octobre en voie !
Watteau ! que je vous aime, Autran, ô Millevoye !

                  Nuit d'été

Le violon, d'un chant très profond de tristesse,
Remplit la douce nuit, se mêle au son des cors ;
Les Sylphes vont pleurant comme une âme en détresse
Et les coeurs des grands ifs ont des plaintes de morts.

Le souffle du Veillant anime chaque feuille,
Le rameau se balance en un rythme câlin,
Les oiseau sont rêveurs, et sous l'oeil opalin
De la lune d'été, ma douleur se recueille.

Au concert susurré que font sous la ramure
Les grillons, ces lutins en quête de sabbat,
Soudain a résonné toute, en mon coeur qui bat,

La grande majesté de la Nuit qui murmure
Dans les cieux alanguis un ramage lointain,
Prolongé jusqu'à l'aube humide du Matin.

           Rêve de Watteau

Quand les pastours, aux soirs des crépuscules roux
Menant leurs grands boucs noirs aux râles d'or des flûtes,
Vers le hameau natal, de par delà les buttes,
S'en revenaient, le long des champs piqués de houx ;

Bohèmes écoliers, âmes vierges de luttes,
Pleines de blanc naguère et de jours sans courroux,
En rupture d'étude, aux bois jonchés de brous
Nous allions, gouailleurs, prêtant l'oreille aux chutes

Des ruisseaux, dans le val que longeait en jappant
Le petit chien berger des calmes fils de Pan
Dont le pipeau qui pleure appelle, tout au loin.

Puis, las, nous nous couchions, frissonnants jusqu'aux moelles,
Et parfois, radieux, dans nos palais de foin,
Nous déjeunions d'aurore et nous soupions d'étoiles...

Tarentelle d'automne

Vois-tu près des cohortes bovines
Choir les feuilles dans les ravines,
Dans les ravines ?

Vois-tu sur le coteau des années
Choir mes illusions fanées,
Toutes fanées ?

Avec quelles rageuses prestesses
Court la bise de nos tristesse,
De mes tristesse ?

Vois-tu, près des cohortes bovines,
Choir les feuilles dans les ravines
Dans les ravines ?

Ma sérénade d'octobre enfle une
Funéraire voix à la lune,
Au clair de lune.

Avec quelles rageuses prestesses
Court la bise de nos tristesses,
De mes tristesses !

Le doguet bondit dans la vallée.
Allons-nous-en par cette allée,
La morne allée !

Ma sérénade d'octobre enfle une
Funéraire voix à la lune,
Au clair de lune.

On dirait que chaque arbre divorce
Avec sa feuille et son écorce,
Sa vieille écorce.

Ah ! vois sur la pente des années
Choir mes illusions fanées,
Toutes fanées !

        Presque berger

Les Brises ont brui comme des litanies
Et la flûte s'exile en molles aphonies.

Les grands boeufs sont rentrés. Ils meuglent dans l'étable
Et la soupe qui fume a réjoui la table.

Fais ta prière, ô Pan ! Allons au lit, mioche,
Que les bras travailleurs se calment de la pioche.

Le clair de lune ondoie aux horizons de soie :
Ô sommeil ! donnez-moi votre baiser de joie.

Tout est fermé. C'est nuit. Silence... Le chien jappe.
Je me couche. Pourtant le Songe à mon coeur frappe.

Oui, c'est délicieux, cela, d'être ainsi libre
Et de vivre en berger presque. Un souvenir vibre

En moi... Là-bas, au temps de l'enfance, ma vie
Coulait ainsi, loin des sentiers, blanche et ravie !

           Jardin sentimental

Là, nous nous attardions aux nocturnes tombées,
Cependant qu'alentours un vol de scarabées
Nous éblouissait d'or sous les lueurs plombées.

De grands chevaux de pourpre erraient, sanguinolents,
Par les célestes turfs, et je tenais, tremblants,
Tes doigts entre mes mains, comme un nid d'oiseaux blancs.

Or, tous deux, souriant à l'étoile du soir,
Nous sentions se lever des lumières d'espoir
En notre âme fermée ainsi qu'un donjon noir.

Le vieux perron croulant parmi l'effroi des lierres,
Nous parlait des autans qui chantaient dans les pierres
De la vieille demeure aux grilles familières.

Puis l'Angélus, devers les chapelles prochaines,
Tintait d'une voix grêle, et, sans rompre les chaînes,
Nous allions dans la Nuit qui priait sous les chênes.

Foulant les touffes d'herbes où le cri-cri se perd,
Invisibles, au loin, dans un grand vaisseau vert,
Nous rêvions de monter aux astres de Vesper.

Les petits oiseaux

Puisque Rusbrock m'enseigne
À moi, dont le coeur saigne
Sur tout ce qui se baigne
Dans le malheur,
À vous aimer, j'élève
Ma pensée à ce rêve :
De vous faire une grève
Avec mon coeur.

Là donc, oiseaux sauvages,
Contre tous les ravages,
Vous aurez vos rivages
Et vos abris :
Colombes, hirondelles,
Entre mes mains fidèles,
Oiseaux aux clairs coups d'ailes,
Ô colibris !

Sûrs vous pourrez y vivre
Sans peur des soirs de givre,
Où sous l'astre de cuivre,
Morne flambeau !
Souventes fois, cortège
Qu'un vent trop dur assiège,
Vous trouvez sous la neige
Votre tombeau.

Protégés sans relâche,
Ainsi contre un plomb lâche,
Quand je clorai ma tâche,
Membres raidis ;
Vous, par l'immense voûte
Me guiderez sans doute,
Connaissant mieux la route
Du Paradis !

   Violons de villanelle

Sous le clair de lune au frais du vallon,
Beaux gars à chefs bruns, belles à chef blond,
Au son du hautbois ou du violon
Dansez la villanelle.

La lande est noyée en des parfums bons.
Attisez la joie au feu des charbons ;
Allez-y gaiement, allez-y par bonds,
Dansez la villanelle.

Sur un banc de chêne ils sont là, les vieux,
Vous suivant avec des pleurs dans les yeux,
Lorsqu'en les frôlant vous passez joyeux...
Dansez la villanelle.

Allez-y gaiement ! que l'orbe d'argent
Croise sur vos fronts son reflet changeant ;
Bien avant dans la nuit, à la Saint-Jean
Dansez la villanelle.

             Bergère

Vous que j'aimai sous les grands houx,
Aux soirs de bohème champêtre,
Bergère, à la mode champêtre,
De ces soirs vous souvenez-vous ?
Vous étiez l'astre à ma fenêtre
Et l'étoile d'or dans les houx.

Aux soirs de bohème champêtre
Vous que j'aimai sous les grands houx,
Bergère, à la mode champêtre,
Où donc maintenant êtes-vous ?
- Vous êtes l'ombre à ma fenêtre
Et la tristesse dans les houx.

  Retour au menu E-mail : d.berdot@laposte.net