Quelques autres poésies
de Gérard de Nerval
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  1. Fantaisie
  2. Une allée du Luxembourg
  3. Avril
  4. Les Cydalises
  5. Dans les bois
  6. Le Point noir
  7. Epitaphe

           Fantaisie

Il est un air, pour qui je donnerais,
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber.
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets!

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit...
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit;

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs;

Puis une dame à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue...et dont je me souviens!

                          (Odelettes)

Une allée du Luxembourg

Elle a passé, la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.

C'est peut-être la seule au monde
Dont le coeur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D'un seul regard l'éclaircirait !

Mais non, ma jeunesse est finie...
Adieu, doux rayon qui m'as lui,
Parfum, jeune fille, harmonie...
Le bonheur passait, il a fui !

                          (Odelettes)

                    Avril

Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d'azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m'ennuie.
- Ce n'est qu'après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose,
Qui, souriante, sort de l'eau.

(Les Petits Châteaux de Bohême)

Les Cydalises

Où sont nos amoureuses?
Elles sont au tombeau!
Elles sont plus heureuses
Dans un séjour plus beau!

Elles sont près des anges,
Dans le fond du ciel bleu,
Et chantent les louanges
De la mère de Dieu!

Õ blanche fiancée!
Õ jeune vierge en fleur!
Amante délaissée,
Que flétrit la douleur!

L'éternité profonde
Souriait dans vos yeux...
Flambeaux éteints du monde,
Rallumez-vous aux cieux!

        Dans les bois

Au printemps, l'oiseau naît et chante:
N'avez-vous jamais ouï sa voix?...
Elle est pure, simple et touchante
La voix de l'oiseau -- dans les bois!

L'été, l'oiseau cherche l'oiselle;
Il aime, et n'aime qu'une fois!
Qu'il est doux, paisible et fidèle
Le nid de l'oiseau -- dans les bois!

Puis, quand vient l'automne brumeuse
Il se tait... avant les temps froids.
Hélas! qu'elle doit être heureuse
La mort de l'oiseau -- dans les bois!

           Le Point noir

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l'air, une tache livide.

Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire! --

Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur!
Oh! c'est que l'aigle seul -- malheur à nous, malheur!
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

                   Epitaphe

Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.

C'était la Mort! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eut posé le point à son dernier sonnet;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.

Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : " Pourquoi suis-je venu? "

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